Scènes

Madeleine Peyroux at The Living Room, NYC

Après huit années discrètes, retour à la surface d’une interprète trop communément assimilée à une clone de Billie Holiday. Bilan lors de récents concerts new-yorkais.


Certains artistes semblent destinés à se voir résumer à deux ou trois critères. Prenez Madeleine Peyroux. Depuis son premier album en 1996, Dreamland, tous les commentaires, articles, interviews ou chroniques de concert tournent autour de deux points : elle a été musicienne de rue à Paris et elle est un clone vivant de Billie Holiday.

Deux concerts fin septembre à New York ont permis de faire le point, à l’heure de la sortie d’un deuxième album solo, Careless Love, huit ans après le premier. Deux clubs, deux atmosphères ; Le Jazz au Bar, club bon chic bon genre près de Central Park puis The Living Room, bar branché du Lower East Side (mal nommé car le mobilier provient plutôt d’un dépôt-vente de cuisines d’occasion). Pour les deux concerts, les mêmes accompagnateurs Matt Penman (b), Ben Perowsky (dms) et Sam Yahel (kb), musiciens complices qui remplaceront sans problème les pointures apparaissant sur disque (Larry Goldings, Dean Parks, David Piltch ou Jay Bellerose avec Larry Klein à la production). Les thèmes du nouveau disque constituaient l’essentiel de chaque concert.

Concernant sa réputation (suspecte en ces lieux) de francophilie, la donzelle en rajoute en interprétant une version de « J’ai deux amours » transformée en protest-song joanbaezique (applaudissements polis sans plus du public local).

Pour ce qui est de la comparaison avec Billie Holiday, elle n’est jamais que la 692 548ème à qui des plumitifs sans imagination font le coup. La recette est simple : vous prenez une chanteuse qui combine un phrasé traînant et toujours légèrement en retard sur le temps, un poil de trémolo (pas trop, on ne parle pas de Véronique Sans Son), une bonne caisse (du calme, ce n’est pas une hurleuse canadienne), vous emballez et servez chaud avec moult histoires larmoyantes (car l’amateur de jazz est un grand sensible). A ce compte-là, Cassandra Wilson à ses débuts, Erika Badu, voire Fiona Apple ont déjà été affublées du même code-barre par les petits chefs du rayon « produits frais jazzistiques ».

Et de fait, Madeleine Peyroux montre tout ça, mais le manque de profondeur de certaines de ses interprétations les rend parfois un peu décoratives. Ce sera le cas durant ces concerts sur « Don’t Cry Baby » de Bessie Smith et, pire, sur « Weary Blues » de Hank Williams, restitué comme dans une chorale scout.

Alors on peut tirer le rideau ? Ben non, car si la demoiselle se cherche manifestement, ce qui n’est pas surprenant pour une chanteuse de moins de trente ans, elle trouve déjà des pépites. Sur son premier album, c’était une version du « Walkin’ After Midnight » de Patsy Cline, très éloigné de l’original et presque… joyeux !

Durant ces concerts, on retrouve cette grâce avec le « Between The Bars » d’Elliott Smith, ode à l’alcoolisme un poil casse-gueule, ou sur une version sereine du « You’re Gonna Make Me Lonesome When You Go ». Le Zimm n’avait surement pas pensé à ça. Et pour couronner le tout, elle s’approprie « Dance Me To The End Of Love » d’une manière autrement plus convaincante que le moine canadien, dont la version originale laissait passablement à désirer.

Au total, le bilan est contrasté. On a entendu deux concerts inaboutis, mais une interprète en devenir qui se dégage progressivement de ses influences et sait choisir ses auteurs.

par Thierry Rousselin // Publié le 29 novembre 2004
P.-S. :

Madeleine Peyroux, Careless Love (Rounder)
William Galison - Got You On My Mind (featuring Madeleine Peyroux)