Chronique

Martial Solal

Live in Ottobrunn, Solo Piano, double album

Martial Solal (p)

Label / Distribution : GLM Music

Ce disque est la restitution du pénultième concert du grand Martial Solal puisque le pianiste a souhaité mettre fin à une activité de concertiste qui l’occupe depuis plus de soixante-dix ans. À 91 ans (à l’époque), comment lui en tenir rigueur ? D’autant que ce concert, enregistré fin 2018 en Allemagne, est d’une belle vitalité et trouve pleinement sa place juste avant le tout dernier (pour le coup), enregistré en 2019 à la salle Gaveau (également Élu Citizen Jazz).

Sur plus d’une heure et demie, organisée en deux sets dont le premier est certainement plus lumineux et le second intériorisé, le maître mobilise une fois encore son immense savoir-faire et arpente des territoires qu’il connaît sur le bout des doigts en semblant pourtant les investir pour la première fois. On retrouve ainsi avec plaisir et émotion, devant cette avant-dernière révérence, quelques compositions qui sont ses phares (« My Funny Valentine », « Caravan / Sophisticated Lady / Satin Doll » compilé en une seule longue pièce, « Round Midnight » ou « My One and Only Love ») ainsi que des pièces écrites de sa main (« Histoire de Blues », « Coming Yesterday » « Köln Duet ») qui marquent son style de compositeur et dans lesquelles on peut entendre les accents anciens d’une langue, celle des années cinquante et soixante, qu’il est un des derniers à faire vivre.

Mais Solal ne serait pas lui-même sans la manière unique de s’approprier un clavier dont il connaît chacune des touches et les combinatoires infinies qui vont avec les autres. Par sa capacité, jamais prise en défaut, de le faire sonner à plein, usant de contraste entre les parties graves, très graves, medium et aiguës comme un peintre use d’une palette de couleur, il crée des dynamiques extrêmement mobiles, sans cesse soutenues et réactivées par des ruptures de rythmes et des bifurcations harmoniques inattendues aux figures capricantes.

Cette gymnastique qui exige une souplesse intellectuelle éblouissante et un imaginaire musical d’une inventivité, semble-t-il, sans limite (chez Solal, il est impossible de percevoir les systèmes qui sous-tendent sa créativité) est l’expression d’une jeunesse éternelle. Sans vouloir en faire un pensum crépusculaire, parsemé au contraire, et comme dans une forme d’élégance, d’un humour délicieusement gracieux, (écoutez « Brother Jack »), Martial Solal nous livre une énième et passionnante leçon de piano. Son enthousiasme à encore et toujours « faire de la musique » est proprement jouissif à entendre et définitivement communicatif. Merci Monsieur Solal.

P.S. : Regarder le photoreportage de ce concert.