
Masterclass avec Brad Mehldau
IMEP·Paris College of Music a invité Brad Mehldau pour une masterclass.
Brad Meldhau © site internet
Brad Mehldau, c’est l’élégance d’un lyrisme à la vibrance harmonique à la fois complexe et sophistiquée ponctuée d’un sens du rythme étonnant. Pianiste aux multiples facettes, capable d’épouser des répertoires allant du plus classique au plus contemporain, il s’impose depuis plusieurs décennies comme l’un des musiciens les plus importants de notre génération.
Ce qu’il y a de bien chez lui, c’est qu’il met tout le monde d’accord… ou presque tout le monde… il y en faut toujours deux ou trois pour casser l’ambiance. Toujours est-il que chacune de ses performances suscite l’engouement. Qu’importe la formation, ses concerts affichent toujours complet. Son entrée sur scène est systématiquement saluée par un tonnerre d’applaudissements lancé par un public enthousiaste, aux sourires larges, prêt à vivre un moment suspendu. Pourtant en cette veille de Saint-Valentin, ce n’est pas pour assister à une de ces performances que s’était déplacé le public. Mais pour écouter le musicien parler, ou plutôt conseiller des pianistes, lors d’une masterclass organisée par IMEP·Paris College of Music. Composé majoritairement de musiciens, le public était cette fois-ci impatient de découvrir quelques secrets ou recommandations d’un maître pianiste.
Le déroulement de la masterclass est ingénieux, car quatre pianistes diplômés de l’École vont tour à tour jouer des standards, puis recevoir des recommandations ou des commentaires personnalisés parfois accompagnés d’exercices visant à les sortir de leurs zones de confort. Vont se succéder, deux pianistes en solo : Xavier Belin avec une interprétation colorée et très cadencée de « This I Dig Of You » de Hank Mobley et Luan Pommier pour une somptueuse reprise de « I Remember April » ; et deux pianistes en trio (accompagnés d’une section rythmique) : Gautier Montegu qui interprète une version tendrement espiègle de « Body and Soul » et Léo Labarrière avec une reprise de « Everything Happens To Me ». Deux types de formations qui ont joué un rôle clé dans la renommée de Brad Mehldau. En particulier le trio, qu’il a largement contribué à repopulariser en l’expérimentant, en le dépoussiérant sur des répertoires variés.
- Brad Mehldau © Mélodine Lascombes
Certains de ses retours étaient évidemment très techniques et spécifiques au jeu du pianiste, comme l’utilisation réfléchie et mesurée de la pédale pour ajouter une dimension supplémentaire à un morceau, ou encore l’importance du finger pedaling pour varier la texture. D’autres étaient plus généraux, comme l’idée de valoriser et d’explorer les idées spontanées lors de l’improvisation ou l’importance du storytelling et de rester fidèle à l’histoire que l’on raconte du début à la fin d’un morceau.
Il partage notamment un conseil inspiré par Bill Evans, que Kenny Werner lui a donné lorsqu’il était son enseignant. Au fur et à mesure de l’apprentissage d’un morceau ou des répétitions, il est nécessaire de soustraire les éléments qui composent le morceau afin d’identifier et travailler ce qui est difficile à exécuter. L’idée est de « pratiquer le minimum » afin de reconnaître et nommer les composants du morceau, pour s’entrainer à maitriser les éléments complexes tout en explorant de nouveaux territoires. Une technique qui lui permet de trouver et sublimer l’essence d’un morceau en se concentrant sur l’essentiel, mais également d’améliorer son jeu.
l’écoute des autres musiciens est essentielle pour enrichir et ajuster la texture rythmique de son jeu
Brad Mehldau recommande aux pianistes, lorsqu’ils jouent en trio, de ne pas doubler la note fondamentale de l’accord joué par la contrebasse, car cela crée un son vide. Il suggère d’entraîner son oreille pour sortir de la grille harmonique et de jouer la mélodie en trouvant des notes complémentaires, sans se contenter de la fondamentale. Il conseille également d’ajouter une seconde voix harmonique pour enrichir la mélodie. Il insiste ainsi sur l’importance du « voice leading » lorsque l’on joue une ballade. Une technique particulièrement maîtrisée par des pianistes comme Bill Evans, Keith Jarrett et Red Garland, qui grâce à elle parviennent à parfaitement équilibrer l’architecture de leur jeu. Il rappelle aussi que l’écoute des autres musiciens est essentielle pour enrichir et ajuster la texture rythmique de son jeu. Il est parfois important de laisser de l’espace aux autres musiciens, même lors d’un solo. En trio cela favorise la création d’un dialogue musical, d’une dynamique et d’un son collectif qui est souvent à l’origine du swing ou du groove.
La masterclass se termine par une improvisation à quatre mains entre Brad Mehldau et Luan Pommier à partir d’un motif aussi riche et doux que les quatre heures que nous avons passées dans le Pavillon des Sirènes. Un moment privilégié aussi bien pour les pianistes que les musiciens présents, avec un Brad Mehldau qui nous rappelle que peu importe le talent, c’est la pratique qui fait le maître.