Chronique

Matthieu Donarier & Albert van Veenendaal’s Planetarium

The Visible Ones

Matthieu Donarier (ss, ts), Albert van Veenendaal (p)

Label / Distribution : Clean Feed

Depuis plusieurs années, chaque nouvelle référence du label portugais Clean Feed vient occuper une place de choix dans le paysage musical actuel. La rigueur de sa ligne esthétique choisie se double d’une grande exigence de qualité. Que ce Planetarium vienne y apporter sa pierre supplémentaire est un gage à la fois de la pertinence du label et de la valeur du duo.

Matthieu Donarier et Albert van Veenendaal se sont rencontrés en 2009 aux Pays-Bas lors d’une série de concerts où jouent en sextet leurs trios respectifs. En ouverture, ils interprétaient en duo une composition du saxophoniste, « Blue Rotterdam », écrite pour l’occasion. L’envie naît alors de prolonger la rencontre. A l’écoute du résultat, la chose paraît à présent évidente. On retrouve chez l’un comme chez l’autre un même intérêt pour le son en tant que matière, une même élégance dans l’écriture. Donarier, très justement reconnu pour son originalité (voir, l’an dernier, l’excellent duo Wood avec le contrebassiste Sébastien Boisseau) développe ici, au ténor ou au soprano, une sonorité maîtrisée, droite, resserrée, qui s’élève avec une grande clarté. En revanche, on se réjouit de découvrir aujourd’hui le Néerlandais Albert van Veenendaal, quasi inconnu en France. Influencé par John Cage, adepte du piano préparé, il a participé en tant que leader ou sideman à une cinquantaine d’enregistrements sur la scène nord-européenne. Parfait rythmicien au toucher délicat, il déroule un phrasé parcimonieux mais limpide.

La musique éveille parfois chez nous des sensations insoupçonnées. Ce duo permet ce genre de révélation. En préambule, « Blue Rotterdam » nous introduit dans une antichambre insolite où l’on accède via un passage escarpé : un très grand intervalle entre deux notes qui crée une tension et pose en exergue un mystère qui flottera jusqu’à la fin du morceau. Pas de lutte pour autant : le moment est intense, mais doux. On s’y installe pour se livrer à une contemplation paradoxale : scruter l’univers pour descendre au plus profond de soi.

Cette sensation d’étrangeté se poursuit avec un « Univers élastique » tout en arabesques aux couleurs délicatement orientalistes qui rappellent Satie. Le piano préparé de van Veenendaal, dont les cordes s’entrechoquent en des rythmiques feutrées et rondes, modère la dureté du propos. Là encore, aucune vérité n’est assénée. Puis vient « Calling », magnifique solo de soprano qui, dans sa solitude, ouvre encore plus d’espace et guide notre progression dans ce monde flottant. Douze pièces brèves en forme d’itinéraire à travers de vastes étendues baignées de lumière, profondes et secrètes à la fois sans qu’on ait jamais la sensation de franchir une étape. Chaque plage, en effet, nous cueille là où la précédente nous a laissés, dans une dérive calme, comme sous l’effet d’un charme. Les compositions (surtout celles de Donarier) sont obsédantes, limpides dans leur propos, lentes dans leur déroulé, ménageant des coups de théâtre vénéneux d’où surgissent des éclats de conscience, des univers si langoureux qu’ils peuvent en devenir dérangeants. « The Visible Ones », oscillant entre merveilleux et tragique, est la pointe extrême de ce parcours. L’infini du ciel s’épanche en nous. L’apaisement nous gagne peu à peu, tout se dénoue, mais reste intranquille.

La force de l’ensemble réside dans l’équilibre entre un propos très contemporain et un alliage de timbres qui se détache clairement, en laissant du sens à la respiration. L’impact n’en est que plus redoutable. L’espace et la lumière sont privilégiés. Pas d’effets inutiles, le propos est resserré parce qu’il est dense. Dans ces espaces de silence, nul besoin de se répéter ; chaque note compte.