Scènes

Matthieu Donarier Trio au Fanal de Saint-Nazaire

L’enregistrement d’un disque est un moment d’autant plus singulier lorsqu’il est réalisé en public, sans filet. Le trio de Matthieu Donarier joue depuis plus de dix ans ; le saxophoniste souhaitait graver la trace de ce qui constitue son quotidien, c’est-à-dire la scène.


L’enregistrement d’un disque est un moment d’autant plus singulier lorsqu’il est réalisé en public, sans filet. Le trio de Matthieu Donarier joue depuis plus de dix ans ; [1] ; le saxophoniste souhaitait graver la trace de ce qui constitue son quotidien, c’est-à-dire la scène.

Contrairement au premier album du trio (OpticTopic, sorti en 2004 chez Yolk, le label nantais) et qui, enregistré en studio, n’était constitué que de compositions de Joe Quitzke ou de Donarier, la volonté du leader était ici d’enregistrer les nouvelles compositions du groupe, évidemment, mais aussi les reprises jouées en concert.

Pour cette première soirée [2] dans une salle à l’acoustique excellente et devant un public nombreux et enthousiaste, le trio s’est donc livré à son exercice favori : le live ! Petite différence tout de même par rapport aux concerts classiques : les micros de Boris Darley enregistrent tout ! Les musiciens ont pu répéter pendant deux jours in situ, roder les nouveaux morceaux, prendre la mesure du théâtre Jean-Bart.

Une décennie, c’est déjà une belle durée de vie. Et dès les premières minutes on sent le vécu commun à Matthieu Donarier, Joe Quitzke et Manu Codjia, toutes ces heures passées ensemble à jouer, voyager ou discuter, et qui cimentent un groupe. Cette connivence leur permet de s’attaquer à des morceaux récents, voire très récents, et d’en faire de magnifiques moments de musique. Les rôles alternent : Codjia se fait « climatologue » pour souligner le solo de Donarier, puis ce dernier ponctue le solo du guitariste pendant que Quitzke n’en finit plus de trouver la frappe parfaite, la couleur de peau idéale ou le rythme impensable.

Joe Quitzke © Patrick Audoux / Vues Sur Scènes

La première partie du concert fait la part belle au chant, à l’art de la chanson. A partir de mélodies accrocheuses, le trio propose une musique originale, faite de subtils décalages rythmiques et mélodiques. Ce matériau est l’occasion pour Donarier d’effectuer un travail impressionnant sur le souffle et la pâte sonore. Sa manière de travailler la mélodie, d’amener du ludique dans le jeu rappelle le Tiny Bell Trio de Dave Douglas. Ce n’est donc pas un hasard si le trio reprend « Mourir pour des idées » de Brassens, auteur que Douglas a lui-même repris avec brio [3]. Par la suite, le groupe nous fait admirer sa science des contrastes, que ce soit à l’intérieur d’un titre ou entre eux : les paysages sonores se succèdent au fil des passages lyriques puis très libres, ou encore au milieu de lignes complexes, proches du travail de Tim Berne. La musique est moderne mais incarnée. La complexité de certaines lignes ne se fait pas au détriment du chant, qui reste l’élément fondamental. Le groupe semble avoir encore gagné en maturité. La liberté est partout, la musique semble prendre son envol sans entrave tout en étant très organique.

Manu Codjia © Patrick Audoux / Vues Sur Scènes

Les trois musiciens prennent du plaisir, ça se voit et ça s’entend. Les regards échangés, les petits sourires ne trompent pas. On ressent aussi une sorte de soulagement : un enregistrement, ça compte. Le trac est sans doute plus présent que d’habitude. [4] Le trio veut donner du plaisir et conserver toute son intégrité. Une volonté de bien faire qui crée le stress mais débouche sur de vrais instants de magie musicale. Cet investissement de chaque instant, on le constate aussi dans un rituel caractéristique de Matthieu Donarier : la musique est intrinsèquement liée à la danse, et il danse comme il joue. D’un pied sur l’autre, il allie le geste au souffle : corps et esprit au service de la musique.

Matthieu Donarier © Patrick Audoux / Vues Sur Scènes

Premier soir d’enregistrement - une étape importante du projet qui démarre et déjà, la satisfaction d’avoir beaucoup de choses pour le disque… Ça promet !

par Julien Gros-Burdet // Publié le 12 janvier 2009

[2Trois concerts devront apporter la matière de l’album : 16 décembre 2008 au Fanal de Saint-Nazaire, 14 janvier 2009 au Pannonica de Nantes, puis le 16 à Angers.

[3« Les Croquants » sur l’album Constellations, paru en 2002 sur le label HatHut

[4Quand, par exemple, Manu Codjia attaque un morceau puis se rend compte que sa guitare n’est pas branchée… Petit signe qui n’en rend la prestation que plus attachante.