Tribune

Michel Portal, radical libre

Portrait interne du musicien élégant.


Depuis dix-huit ans que Citizen Jazz met des articles en ligne, Michel Portal y est apparu plus de soixante-dix fois. La plupart du temps en photos, ce qui est un paradoxe pour un musicien qui a la réputation de ne pas être des plus tendres avec les photographes, comme nous le rapporte Michel Laborde dans l’un de ses Citizen Eye [1]

Des interviews tierces (plus de quarante, de Bojan Z aux frères Moutin) aux multiples chroniques de disques, Michel Portal est un personnage central, voire mythique, de nos musiques. Un des premiers à franchir sans complexe la barrière mentale entre jazz et classique ; toute discothèque qui se respecte a au moins Turbulence (avec Mino Cinelu, Andy Emler et Bernard Lubat, entre autres) et Clarinet Quintet avec le Quatuor Ysaÿe autour de Mozart.

Michel Portal (c) Michel Laborde

Pour nombre d’entre nous, la quarantaine chantante, notre premier contact avec Portal, c’est le générique de Droit de Réponse, émission sulfureuse et tardive que l’on regardait en cachette, ou parce qu’on nous avait oublié un soir de fête sur un bout de canapé. Plus tard, à l’adolescence, c’est avec l’avènement de la grande époque de Label Bleu que nous redécouvrions le musiciens, notamment dans un Anyway où les « Sons Mêlés » disaient tout de l’ouverture de Portal, entre la guitare de Marc Ducret, la basse de J.-F. Jenny-Clark et les percussions de Trilok Gurtu. Une manière d’embrasser le monde avec une liberté que la mode n’oblitère pas. Michel Portal joue, avec une virtuosité sans pareille, mais ne s’enferme dans aucun style. Il aime les images, et surtout celles qui bougent comme il le montrera en composant plusieurs musiques de films. Sur Musiques de Cinéma on le retrouve au bandonéon, sa passion, sur « Docteur Petiot ». Mais il composera pour des œuvres comme Max Mon Amour ou plus récemment La Petite Chartreuse de Jean-Pierre Denis .

D’où vient cette aura ? Sans doute de ce que Portal est un pionnier, et un symbole d’intégrité. Lors de notre papier sur les quarante ans de Futura & Marge, nous écrivions à propos de Alors !!! : « Alors !!! est une œuvre de transmission et de défrichage entre les musiques contemporaines européennes et la force collective du free, où le « Trio » de Surman et sa remarquable rythmique américaine (Barre Phillips à la contrebasse et Stu Martin à la batterie) s’adjoint Portal et le percussionniste Jean-Pierre Drouet pour chercher avec enthousiasme et sensibilité les rhizomes communs d’une expression nouvelle ». Force est de constater que ses premier albums dans les toutes premières années 70 (notamment Splendid Yzlment avec Pierre Favre et Barre Phillips) sont les bases jetées de toute une expression du free européen dont le Live à Châteauvallon, ressorti il y a quelques années, est la pierre angulaire, avec sans doute Arrivederci Le Chouartse.

Michel Portal (c) Franpi Barriaux

Gardons-nous cependant d’enfermer Michel Portal dans une quelconque case. En témoigne son magnifique périple à Minneapolis avec Jean Rochard avec Tony Hymas et Vernon Reid : puissance, modernité, rare modèle réussi de symbiose avec des musiques urbaines non galvaudées, Minneapolis, et sans doute davantage Dipping in Minneapolis et par ailleurs Birdwatcher sont la preuve que les envies comptent bien plus que les genres musicaux et que tout est possible à qui est vraiment libre et détaché. Dans Radar, septième épisode de la collection Jazz Legends consacré à Portal, nous écrivions, à propos d’un duo avec Richie Beirach : « Les deux musiciens s’interpellent, se répondent. Unissons, contre-chants. Portal gimmique. Beirach renchérit. La cadence s’accélère pour mieux s’appesantir. Une mélodie se dessine puis s’en va. Durant les onze et quelques minutes que dure le morceau, on reste totalement soufflé par le lyrisme et la qualité d’écoute ». Difficile de mieux décrire une discographie et un état d’esprit.