Scènes

Les pommiers au soleil, c’est bon pour les oreilles !

Échos de Jazz sous les pommiers (trente-sixième édition) 2017 -1


Airelle Besson - Clémence Colin : Signes et sons © Gérard Boisnel

Entre jazz et musiques cousines
Jazz sous les Pommiers à Coutances (Manche) continue de tracer sa route. Pour sa trente-sixième édition, l’événement normand s’ouvre sous d’excellents auspices. Le troisième festival (jazz) de France par sa fréquentation attire toujours autant de monde : sur une capacité de 39 400 places, 16 400 billets ont été achetés le premier jour de la mise en vente. Il n’en reste que 3 700 le jour de l’ouverture ! Les 254 bénévoles et les 129 professionnels qui font vivre le festival ont de quoi se réjouir…

Samedi 20 mai 2017
Pour ne rien gâcher, il fait grand soleil et la météo est favorable pour toute la semaine.

António Zambujo : fado et autres horizons
Il chante le fado mais c’est aussi un charmeur, un enjôleur même, António Zambujo (chant, guitare classique) possède une voix de velours aux graves soyeux et aux aigus délicats mais charnus. Il aime ralentir le tempo jusqu’à donner l’impression de suspendre le temps et finir dans un murmure. Certaines de ses chansons ont le charme des mélodies de Jobim et, dans quelques passages, on croirait entendre Al Jarreau.
La guitare portugaise de Bernardo Couto, d’une grande musicalité, aère ce que le fado peut avoir de plaintif. Elle prend parfois les couleurs du bouzouki. José Conde (clarinettes) ajoute à l’expression de la saudade quand il joue de la basse mais avec Joao Moreira (trompette), il assure aussi, dans des duos subtils, le côté jazzy du concert.

Anat Cohen & Trio Brasileiro : au pays du choro
L’Israélienne vivant à New-York est tombée amoureuse du Brésil et de sa musique traditionnelle, le choro, ce qui nous vaut ce compagnonnage d’Anat Cohen et du Trio Brasileiro pour un deuxième album (Alegria Da Casa, Anzic Records, 2016).
L’allégresse de ces quatre musiciens fait plaisir à voir et s’avère contagieuse. Ils interprètent des traditionnels comme « Night in Brazil » ou « Murmurando », des compositions d’Anat Cohen mais aussi des œuvres du trio.

Anat Cohen + Trio Brasileiro par Gérard Boisnel

« In The Spirit of Baden » (Anat Cohen) en mémoire de Powell est une pièce assez jazz, occasion de très beaux solos de clarinette tandis que « Waiting for Amalia », une ballade très mélodique qui évoque l’impatience de la compositrice attendant la naissance de sa nièce, nous offre un duo clarinette-guitare très délicat. On reste dans le même climat avec « Une fleur pour toi » que les frères Douglas Lora (guitare à sept cordes) et Alexandre Lora (pandeiro et percussions) ont écrite pour leur mère. Elle fait dialoguer d’abord la guitare et la mandoline de Dudu Maia avant d’élargir la conversation à la clarinette pour une tendre élégie. L’humour n’est pas absent non plus comme dans ce « Choro pesado » que Dudu a écrit en mémoire de sa jeunesse éprise de heavy metal !
Le concert s’est conclu par une longue ovation debout.

Trio Jean-Luc Ponty, Biréli Lagrène, Kyle Eastwood : rendez-vous sur les hauteurs
Dans la foulée de l’album D-Stringz (Impulse / Universal, 2015), s’est constitué un nouveau trio où Kyle Eastwood tient la contrebasse. Cet attelage qui réunit le vétéran Jean-Luc Ponty (violon) et deux de ses cadets Biréli Lagrène (guitare et Kyle Eastwood (contrebasse) a de quoi exciter la curiosité en alliant deux stars de leur instrument à Kyle Eastwood en bonne voie de les rejoindre.
Après que Ponty s’est réjoui de son retour à Coutances onze ans après son dernier passage (et c’est aussi un retour au pays pour ce natif d’Avranches), on se met en jambes avec un superbe « Blue Train » en hommage à Coltrane. Les titres se partagent ensuite entre les trois compositeurs.

Ponty Eastwood Lagrène par Gérard Boisnel

Une « Samba de Paris » de sa composition permet à Kyle Eastwood de montrer l’étendue de sa virtuosité tandis que la richesse de son jeu mélodique éclatera dans la longue introduction en solo de son « Andalucia ».
« Renaissance » de Ponty est un des grands moments du concert. Sa virtuosité y éclate tandis que Lagrène y emploie son extrême dextérité qui ne nuit en rien à sa grande musicalité. Kyle Eastwood assure d’abord une rythmique impeccable avant un solo mélodique d’une rare beauté. Dans « Stretch » de Biréli Lagrène on admire toute la palette d’inflexions que donne Ponty à son violon et l’étonnante plénitude du son qu’il tire de sa chanterelle.
Au total, un concert où l’on tutoie les sommets. Biréli Lagrène s’y taille la part du lion par son engagement, son invention et son jeu toujours aussi affûté. Kyle Eastwood relève le défi de cette confrontation avec un vrai cran et un indéniable panache. Jean-Luc Ponty reste le virtuose qu’on connaît. Ce soir, il lui a peut-être manqué un grain de folie.

On enjambe le dimanche. Traditionnellement réservé aux fanfares, il nous a néanmoins permis d’apprécier le septette de Sylvain Kassap (clarinettes) dans une création avec un chœur éphémère de 100 choristes amateurs de la région, sous la direction de Vincent Lapouge : El Pueblo Unido « Manifeste ». C’est une relecture très jazz de célèbres chansons révolutionnaires, internationales évidemment. On fait également l’impasse sur le lundi, jour réservé aux scolaires qui se termine par l’habituel concert lycéen qui accueillait cette année Jungle by Night.

Mardi 23 mai 2017

Airelle Besson - Clémence Colin, Signes et sons : une création pleine d’émotion
C’est un vrai défi qu’ont relevé Airelle Besson (trompette) et Clémence Colin (chansigneuse). Clémence Colin est une comédienne sourde qui traduit en signes les sensations et les sentiments que lui procure la musique.
Les deux artistes ont entrepris de faire partager une expérience musicale à des enfants sourds du CROP (Centre Ressource de l’Ouïe et de la Parole) de Caen et à des enfants entendants de l’Orchestre à l’Ecole de Coutances Mer et Bocage.
Le résultat est d’une beauté fragile qui saisit les spectateurs d’une émotion égale à celle des enfants sur la scène, notamment quand ceux de l’Orchestre jouent avec Airelle une partie de « Radio One » et une autre de « Neige ».

Soirée Blues : du blues au coin du feu au blues incandescent
Le premier concert permet d’entendre le trio Harrison Kennedy (voix, guitare et banjo), Jean-Jacques Milteau (harmonicas) et Vincent Ségal (violoncelle). Un beau numéro de spécialistes dans lequel Ségal fait parfois souffler un vent plus frais. La scène est ensuite à Lurrie Bell (voix, guitare) en quartette. Le répertoire est plus musclé, plus rapide aussi, à la frontière du blues et de la soul. La main gauche est véloce et nerveuse. La voix grave, à peine rauque, fait claquer les mots. Plus rarement, le temps d’une ballade, on retrouve le blues du Mississippi comme dans « Music Is My Soul » qui commence ici par une longue et très belle improvisation instrumentale.
Michel Portal, Jeff Ballard et Kevin Hays, Promises : avis aux amateurs d’improvisation
Ces trois-là (le vétéran et ses compagnons de scène plus jeunes) s’entendent à merveille dès qu’il s’agit de se surprendre, de se provoquer avant de se retrouver pour un temps de pure mélodie.

Michel Portal trio par Gérard Boisnel

Michel Portal (clarinettes, saxophone soprano) est tour à tour facétieux, dubitatif, sérieux, inventif toujours. Aussi à l’aise dans le free tonitruant que dans la mélodie aussi lente que suave aux accents orientalisants, c’est un maître du temps. Jeff Ballard (batterie) combine l’inventivité rythmique, la vélocité, la maîtrise de la frappe et une musicalité jamais prise en défaut. Kevin Hays (piano) joue souvent le dynamiteur du trio mais il sait aussi réagir, prolonger, développer couleurs et rythmes… On aimerait embarquer au long cours avec un tel trio.

Ensemble FizFüz & Gianluigi Trovesi : « diversité, c’est ma devise »
La rencontre du vieux maestro italien et de ses cadets du trio germano turc FizFüz est une promenade colorée entre jazz, musique klezmer, mélodies orientales, airs traditionnels… Le travail de Murat Coşkun au hang dont il tire des sons de marimba ou au bendir, est un régal absolu. Les dialogues du luth (Gürkan Balkan) avec le percussionniste ou la clarinette d’Annette Maye vous tiennent sous leur charme. Et lorsque Gianluigi Trovesi à la clarinette basse se joint à sa collègue pour une plaintive mélodie, on est tellement près de la voix humaine que l’émotion vous submerge.

Mercredi 24 mai 2017

Une soirée avec Pat Metheny & Antonio Sanchez, Linda Oh, Gwilym Simcock
La silhouette semble un peu épaissie et légèrement voûtée mais le jeu de Pat Metheny (guitares) garde la même vélocité. Dans une première partie, le guitariste semble s’enfermer dans un dialogue exclusif avec son batteur-percussionniste, Antonio Sanchez. Tous deux sont dans le paroxysme, l’énergie et la vélocité peu propices aux nuances et on s’ennuie un peu. Arrive enfin une ballade où Metheny alterne le jeu digital naturel et le jeu au médiator : c’est un beau travail sensible qui permet d’admirer dans un long solo toute la musicalité de Linda Oh, la contrebassiste. Sanchez ne va pas tarder à montrer qu’il sait faire autre chose que taper vite et fort. Un de ses solos est une succession de rythmes et de sonorités variés, avec de subtiles syncopes. Gwilym Simcock (piano) montre qu’il est aussi à l’aise dans le style mélodique que dans l’élaboration de vastes fresques où il parcourt toute l’étendue de son clavier. Après deux heures de concert, Metheny, qui reste grand, nous régale d’un de ses solos acoustiques qui font toujours rêver.

Rémi Panossian trio, RP3 : un triomphe mérité
Il est 22 h 30 et le chapiteau du Magic Mirror, plein à ras bord, attend le trio du pianiste toulousain qui présente son dernier album, RP3 (Jazz Family, 2015). On sait que l’une des caractéristiques du groupe est d’écrire des pièces aux climats changeants, à l’aspect très cinématographique. Le dernier disque n’échappe pas à cette manière de faire qui entraîne l’auditeur spectateur dans une ronde d’événements sans cesse renouvelés. Un viatique sûr contre l’ennui.

Rémi Panossian par Gérard Boisnel

Rémi Panossian (piano) ne manque pas d’humour : il présente les trois premiers titres du concert comme un cycle écologique. « Happy Culture » (un hymne aux abeilles et à ceux qui les élèvent » dit Panossian), « Brian le raton laveur » (beau travail de Maxime Delporte (contrebasse) et « Busseola Fusca » (nom latin d’un insecte parasite du maïs et du sorgho) illustrent bien, dans leurs passages rapides, l’énergie rock du groupe. Avec « Jeju-Do » (une île de Corée du Sud), nous sommes plutôt dans la ballade avec un solo de piano élégiaque et méditatif, empreint de gravité, avant que le trio n’enchaîne sur un mode plus gai. On y admire le travail délicat aux mailloches puis aux balais de Frédéric Petitprez (batterie).
En sept ans d’existence et plus de 300 concerts dans au moins 30 pays, le Rémi Panossian trio s’est créé un son, un style, une esthétique, au-delà d’une cohésion sans faille, qui leur assurent un succès mérité et destiné à s’amplifier. C’est au moins ce qu’on leur souhaite.

Jazz sous les pommiers 2017 n’est encore qu’au milieu de son parcours.
Ce qui reste à venir est bien alléchant. A suivre…