Chronique

El Memorioso

De l​’​utilité et des inconv​énients de la m​é​moire pour l​’​improvisation

Xavier Camarasa (p), Julien Pontvianne (cl), Olivia Scemama (b), Nicolas Souchal (tp), Julien Chamla (dms)

Label / Distribution : Le Fondeur de Son

La mémoire et la notion d’improvisation, en un mot l’imprégnation de la personnalité du musicien et de son habitus, sont des sujets qui ne sont pas souvent convoqués dans la pratique musicale en tant que telle, et qui forment plutôt des sujets de recherche. On peut légitimement penser que c’est une des pistes explorées par Anthony Braxton dans son langage EEMH lorsqu’il met parfois face à face des musiciens avec leur propre double. Mais l’application directe de cette thématique en tant qu’expérience unique (jouer une composition instantanée, laisser reposer, puis rejouer cette séquence à l’identique de mémoire) est assez inédite.

Il aura fallu, après un premier album remarqué, que le quintet s’associe au chercheur de l’Ircam Clément Canonne pour que l’idée se développe en tant que concept, précisant les axes au-delà du nom du groupe, inspiré par l’œuvre de Jorge Luis Borges. Les musiciens d’El Memorioso peuvent, comme dans « Le Sentiment de l’automne », jouer deux fois ce morceau qui s’engage sur l’archet d’Olivia Scemama, à la contrebasse et qui doit beaucoup à la trompette de Nicolas Souchal, puis, dans un second temps sur la batterie de Julien Chamla.

Dans de telles propositions, où il est nécessaire de jouer avec toutes les ramifications du silence et de les travailler finement, il n’est pas surprenant de retrouver des audacieux comme Xavier Camarasa (TBPN), qui travaille l’espace grâce à la préparation subtile de son piano (« Penser l’oubli I »), ou Julien Pontvianne (AUM Grand Ensemble), grands habitués de ces climats. Le travail de Céline Grangey au son, qui questionne la mémoire presque physiquement, tangiblement tant il y a de l’espace entre les musiciens, est également un processus crucial dans l’atmosphère générale d’un disque qui se discute de deux façons. D’abord de la manière la plus brute, comme une œuvre improvisée qui vous happe, mais également par une écoute profonde, à repérer toutes les strates de la mémoire, toute l’écume des souvenirs qui en font un disque précieux. Et qui laisse davantage que de bons souvenirs.

par Franpi Barriaux // Publié le 4 juin 2023
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