Chronique

Badaroux / Guionnet / Baker / Roebke

Forget to Find

Pierre-Antoine Badaroux, Jean-Luc Guionnet (as), Jim Baker (p, cla), Jason Roebke (b)

Label / Distribution : The Bridge Sessions

S’il faut trouver une qualité commune aux orchestres transatlantiques de The Bridge, c’est d’avoir toujours réussi à trouver une formule, à réaliser un mélange qui fonctionne, fût-il surprenant. La douzième session, nommée Forget to Find, n’échappe pas à la règle bien qu’elle soit, et de loin, l’une des plus radicales qu’il nous ait été donné de croiser, avec ses deux saxophonistes français (Pierre-Antoine Badaroux et Jean-Luc Guionnet) et les deux chicagoans Jason Roebke et Jim Baker, qu’on a souvent croisés aux côtés de Christoph Erb dans une atmosphère assez similaire. De fait, c’est la pâte sonore, cette sculpture à vif du son brut, qui est à l’honneur ici, notamment avec un topographe aussi méticuleux que Guionnet qui semble attentif à chaque mouvement, à chaque forme, avec un alto qui a la précision du sonar.

Dans ce quartet sans batterie, le son jaillit de manière intempestive, sans cadre défini ni carénage. Cela pourrait engendrer le chaos, mais le quartet se concentre sur l’infiniment petit, sur une double question qui zèbre tout l’album : celle du temps (« Forget ») et celle du lieu (« Find »). Dans une première partie, longue et assez âpre, c’est le timbre imposant du saxophone de Guionnet qui maîtrise les débats, Badaroux étant plus agité, se présentant comme par vagues successives. Dans la dernière partie qui dépasse la demi-heure, c’est un relatif unisson qui domine, abrasé par les sons électriques des claviers de Baker. Comme à l’accoutumée avec le claviériste, ce sont des bribes qui agissent comme de petits éboulis et changent toutes les dynamiques au sein de cet orchestre qui n’aime rien tant que de se jeter dans l’inconnu.

On pourrait penser Roebke assez en retrait dans cette configuration, lui qui aime faire parler la poudre, mais ce n’est pas le contrebassiste du Flex Quartet qui est là, plutôt celui qu’on a pu entendre avec Erb et Adasiewicz. Ce n’est pas un dédoublement de personnalité, c’est un jeu sur l’ensemble des possibles. Comme avec le Suisse de l’expérience Exchange, le contrebassiste délimite le temps et l’espace dans lesquels le quartet peut évoluer, et il est suffisamment large pour donner l’illusion de l’infini. C’est tout l’enjeu de « to » qui s’ouvre sur une ligne profonde d’archet, comme un séisme sous-marin dont l’écho se répercuterait jusque dans le souffle des saxophones et l’aura instable des claviers. Une expérience intense.

par Franpi Barriaux // Publié le 7 février 2021
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