Chronique

Yoram Rosilio & the Anti Rubber Brain Factory

Ask the Dust

Label / Distribution : Auto Productions

Premier album du contrebassiste Yoram Rosilio et son Anti Rubber Brain Factory (ARBF) [1], Ask the Dust est une espèce de Comité invisible [2] musical.
Conçu comme un pamphlet et sorti fin 2010, et récemment parvenu à la rédaction tel un tract sous pli discret, il propose une musique libérée de toutes les étiquettes, signée tel un manifeste par les vingt-deux musiciens [3] qui participent à cet ensemble sans nombre ni forme ni direction définis. Libertaire jusque dans sa structure, internationaliste dans sa composition… Dans cet ARBF, on retrouve en effet des Japonais (le batteur Makoto Sato et la formidable métallo-clarinettiste Maki Nakano, soit la moitié de Mamabaray…), une Brésilienne (la vibraphoniste Brenda Ohana) ou encore un Israélien (Or Solomon, pianiste et compagnon de route de Magic Malik).

Ce disque, enregistré en 2008, débute par un « traditionnel » grec de contrebande aux effluves orientales (« Melachrino mou proscopo »). Comme un symbole, Ask the Dust est paru à l’heure ou Athènes s’enflammait sur fond de crise structurelle sans précédent. Véritable écho de la rue, ce sentiment d’émancipation salvatrice traverse l’ensemble du disque grâce à une musique fougueuse et rompue au combat. Il serait cependant réducteur de limiter la musique de cet ARBF à une simple forfanterie politique, même si celle-ci coule jusqu’aux plus profond de ses rhizomes, qui se nourrissent de liberté. Par moment, la formation prend des couleurs de Liberation Music Orchestra, mais délesté de tout espoir de transformation sociale dans ce monde en ruine…

De ce déferlement pamphlétaire ressort bien sûr la pochette, collage surréaliste qui mélange Benoît XVI sortant d’une fleur de pavot à un Jean-Pierre Foucault s’adressant à une barre d’immeuble déliquescente sur fond de château médiéval japonais, mais surtout la musique, travaillée dans le même esprit et enregistrée sur un « coup de tête », comme le dit Rosilio lui-même, avec les amis présents. Dès les premières mesures, elle se pare d’une liberté, d’une urgence (« Pair-ImpaIR ») puisée dans la tradition des Workshops. Elle hésite toujours entre colère et éclat de rire. On pourra même trouver, dans la suite aux accents zappaïens que forme « Kromagnon » et « Manger », une vraie dérision et un solo de guitare de Yann Pitard travestissant un « mon beau sapin » venu de nulle part… Du quintet alcalin du « Monde du Kougloph revisité » au dodecatet de « Centrifugeuse », où plane l’âme de Sun Ra, l’ARBF fourmille de chemins sinueux et de pistes avortées, faites de phrases de comptines devenues triviales et de désordres électriques fébriles.

Yoram Rosilio a été le contrebassiste de Ping Machine jusqu’en 2006. On retrouve d’ailleurs dans cet ensemble le saxophoniste Jean-Michel Couchet et son leader, le guitariste Fred Maurin. De cette expérience subsiste une certaine élégance, un amour visible de Mingus et le plaisir "vident de composer pour les grands ensembles, notamment sur « Rahoum Vehanoun », qui clôt l’album. On notera également un jeu dense et très sec où se retrouve une inclinaison pour le Gnawa et toutes sortes de musiques orientales ; comme l’écriture de Rosilio, la présence du flûtiste syrien Naissam Jallal en témoigne. Ce mélange foutraque fait d’Ask the Dust un album attachant et prometteur. Il conviendra de reparler de l’ARBF en 2012, à l’occasion d’une création franco-marocaine qui fait saliver d’avance, tant pour la musique que pour le contexte politique, qui devrait produire des étincelles dans cette belle Factory…

par Franpi Barriaux // Publié le 22 août 2011

[1Disponible sur le site de l’ARBF.

[2Celui-là même qui écrivit L’insurrection qui vient, petit recueil idéal pour les voyages en train vers une retraite corrézienne. On trouve d’ailleurs un très beau fer à béton sur la pochette.

[3Yoram Rosilio (b), Amina Mezaache (fl), Maki Nakano (cl, as), Jean-Michel Couchet (ss), Florent Dupuis (ts), Benoît Guenoun (ts), Marielle Châtain (as, bs), Or Solomon (keyb), Stephan Caracci (vib), Rafael Koerner (dms), Jean-Philippe Saulou (fx, keyb), Hugues Vincent (cello), Makoto Sato (dms), Brenda Ohana (vib, perc), Naissam Jallal (fl), Julien Matrot (tp), Yann Pitard (g), Eric Dambrin (dms), Fred Maurin (g), Benjamin Abitan (voc), Elisabeth Gilly (voc), Nicolas Arnould (voc).