Chronique

CKP trio avec Elise Caron & Arsys Bourgogne

Hymne à la nuit

Jean-Christophe Cholet (p, comp, dir), Heiri Känzig (b), Marcel Papaux (dms), Elise Caron (voc), chœur Arsys Bourgogne

Label / Distribution : La Buissonne / Harmonia Mundi

Jean-Christophe Cholet est de ces musiciens qui multiplient les créations en étant toujours cohérents dans leurs propos et envies. Il dirige par exemple une grande formation (Diagonal) et joue au sein du trio franco-suisse Cholet-Känzig-Papaux. Dans le délicieux French Touch, justement enregistré avec Diagonal, le pianiste se montrait très inspiré par la musique française du début XXè ; Ravel et Satie y côtoyaient un jazz à l’orchestration résolument contemporaine, marquée par Matthias Rüegg et son Vienna Art Orchestra et concédant même quelques clins d’œil à la musique populaire de l’époque.

Hymne à la nuit relève d’une autre gageure ; au côté de son trio de base à l’imperturbable rythmique (le contrebassiste Heiri Känzig et le batteur Marcel Papaux), on trouve cette fois la chanteuse Élise Caron et l’ensemble vocal Arsys Bourgogne avec son prestigieux chef de chœur Pierre Cao. Presque plus que la mise en musique des ténébreux poèmes romantiques et fiévreux de Novalis et de Rilke., qui permet à Élise Caron de démontrer une fois de plus sa faculté d’habiter le texte poétique, on est avant tout impressionné par l’alchimie complexe, rigoureuse et constamment équilibrée, entre ces entités a priori très éloignées.

On pense aux Gesualdo Variations de David Chevallier, pour la volonté de faire dialoguer des modes d’expression censément dissemblables pour aboutir à des images inédites, des couleurs dont la profondeur prime largement sur le contraste. Certes, les Variations portaient un souffle de Renaissance absent de cet Hymne à la Nuit d’inspiration plus debussyenne (« Mondnacht », notamment, sur un texte de Rainer Maria Rilke), mais c’est surtout le rôle d’Élise Caron qui en définit la structure. Récitante imprégnée du groove des mots (cf. la lente « Introduction » qui place chacun des musiciens) et technicienne irréprochable (son soudain embrasement sur « Ostinato ») à la scansion parfaite (« Rêve »), elle est le point d’équilibre. Une messagère entre le chœur et le trio dont l’union évoque parfois, au passage, l’énergie vocale de Magma (« Ostinato », encore, un des morceaux les plus réussis de l’album.).

Outre l’entente entre Cholet et le très fin Papaux (déjà croisé sur Inner Language avec l’aventureux trio de Christoph Stiefel), et leur quête de la mousseline coloriste des rêves (plus que des ténèbres qui hantent les textes de Novalis), la grande réussite d’Hymne à la Nuit est d’évoquer un crépuscule ténu sans tomber dans l’ornière des « Nocturnes » romantiques douceâtres ; Cholet appuie la rythmique d’airain sur le bien nommé « Groove » par une main gauche extrêmement précise, et ses interventions sont toujours d’une grande perspicacité.

Jamais cette musique n’oppose le pulsatile trio, dont Känzig est le pivot imperturbable et sensible, à la finesse ouvragée d’Arsys Bourgogne. Tout s’imbrique et s’entremêle, jusqu’à la métrique des textes, dont les licences poétiques, comme autant de dialogues harmoniques, sont mises en valeur par l’enregistrement de Gérard de Haro pour son studio/label La Buissonne. Ici tout est pesé, mesuré. La dynamique entre les protagonistes donne encore plus de profondeur à l’ensemble.

Dans un final étincelant, Élise Caron et Arsys répètent comme pour s’en convaincre « au festin du bonheur », pour terminer sur le mot « universel ». Et en effet, ici, on n’est jamais loin de l’universel.