Scènes

NJP 2013 - Echos des Pulsations - 14/10

Il en va du lundi à NJP un peu comme du dimanche soir dans certaines familles. Trop tard pour faire les courses, alors on ouvre les placards. Mais ça ne fait pas toujours un vrai repas et certains mélanges peuvent se révéler indigestes.


Le lundi est un peu le ventre mou des dix jours du festival. Le Chapiteau de la Pépinière est bien moins rempli que la veille, l’heure n’est plus à la fête même si, habile transition avec le dimanche de foule, NJP poursuit sa célébration de la Nouvelle-Orléans en faisant appel à une bande de récidivistes en provenance de Louisiane.

Efrem Towns - Dirty Dozen Brass Band © Jacky Joannès

Le Dirty Dozen Brass Band revient à Nancy. Ce groupe de la Nouvelle-Orléans qui a récemment fêté ses 35 ans a publié une quinzaine d’albums. Avec eux, c’est une certaine idée de la musique festive, tout en éclats de cuivres et vibrations d’anches, qui fait son entrée sur la scène du chapiteau. Sous la houlette de Gregory Davis et Efrem Towns (l’homme qui souffle dans deux trompettes à la fois), dont le rôle est aussi celui de maîtres de cérémonies, les huit musiciens vont faire vrombir leur cocktail de jazz, funk, rock’n’roll parfois teinté de hip hop, sans pause, dans une mise en scène pleine de bonne humeur qui va petit à petit gagner le public. C’est un défilé ininterrompu de thèmes joyeux, assénés à grands coups de décibels ; l’occasion pour Roger Lewis d’engager un long corps à corps avec son saxophone baryton, et pour Kevin Harris d’extorquer un long cri à son ténor en guise de coda suraiguë à chacun de ses chorus. Derrière eux, Kirk Joseph transpire sous son soubassophone et Terence Higgins cogne comme un bûcheron sur ses fûts. Le son est souvent brouillé – message subliminal à l’attention des sonorisateurs : nous ne sommes pas (encore) sourds – et l’impression d’une quête à cuivres forcés, sans nuances, finit par dominer, au détriment d’une émotion pas facile à attraper au vol. Un peu plus d’une heure de musique, le temps est compté et le public n’aura pas droit à un rappel. Le DDBB est passé par là, sa visite n’était pas désagréable, mais on a un peu l’impression que les huit compères ne s’amusaient pas autant que le prétendait leur sourire.

Bertrand Belin © Jacky Joannès

Mystères de la programmation, voici maintenant un virage à 180° avec l’irruption sur scène de Bertrand Belin et de ses quatre musiciens, dont la batteuse-chanteuse Tatiana Mladenovitch. Cette fois, on ne rigole plus : l’univers du chanteur est beaucoup plus brumeux, sinon mystérieux. Sa poésie elliptique et inquiète fait danser les mots, parfois échappés d’improvisations surréalistes, sur un rock plutôt minimaliste, héritier des aînés britanniques des années 80. Les spécialistes ont tort de l’assimiler à la variété française, voire de le comparer à Alain Bashung en raison de sa posture un peu mystérieuse et de textes qui peuvent le paraître aussi quand on ne voit pas qu’ils sont eux-mêmes une musique et une source rythmique. Belin compose un paysage singulier et atypique, dont les subtilités égrenées depuis 2005 tout au long de quatre albums cohérents et originaux vont effectivement échapper à une partie du public, encore étourdi par les assauts joyeux de la Louisiane. Pris en sandwich entre les déflagrations du Dirty Dozen Brass Band et les sucreries à venir, il lui faudra un rappel en forme de « Déluge » pour mettre tout le monde d’accord et conclure avec force et beauté. On a surtout envie de retrouver Bertrand Belin ailleurs, dans un cadre un peu plus intime, donc plus propice à l’expression de ses mondes intérieurs.

Micky Green © Jacky Joannès

« Introspection » n’est pas le premier mot auquel on pense quand Micky Green monte sur scène. Cette chanteuse australienne qui a posé ses valises à Paris à l’âge de 18 ans est en particulier connue pour « Oh ! », qui lui a valu un certain succès auprès des adolescents il y a quelques années. Entourée de claviers électroniques, d’un guitariste et d’un batteur sous casque, cet ancien mannequin délivre un mélange sucré cousin du chewing gum – au bout de quelques minutes, on en cherche le goût – dont les ingrédients pop vont provoquer une migration du public : certains se rapprochent, d’autres s’éloignent, définitivement ou pas. On est dans une autre sphère, il n’est plus question de jazz, même de très loin et c’est là une des caractéristiques de NJP. Si le mot jazz fait partie de la terminologie du festival, il n’en est qu’une des composantes. Toutefois, en mélangeant ainsi les genres – ce qui, en soi, est louable, à condition de ne pas imposer la pratique douloureuse du grand écart –, on voit que la frustration peut naître de ces juxtapositions inharmonieuses. Ce soir, aucune des formations n’a vraiment trouvé sa place, aucun spectateur n’a pu se réjouir complètement de ce qu’il a pu écouter du début à la fin. Demain sera un autre jour, de bonnes vibrations sont à venir…

À suivre…