NJP 2015 # 7 : Jeanne Added / Izïa
Jeudi 15 octobre, Chapiteau de la Pépinière. Le « girl power trio » de Jeanne Added est passé dans un souffle.
Il n’est pas si fréquent de voir le Chapiteau de la Pépinière afficher complet plusieurs jours, voire semaines à l’avance. C’est le cas ce soir avec un affiche résolument féminine, pour ne pas dire féministe ! Trois concerts : Jeanne Added, la « sensational », en trio ; Izïa, fille de Jacques H. et son univers électro-pop vernissé ; pour finir, le duo franco-finlandais The Dø, dont la moitié est une chanteuse, Olivia Merilathi. Il fait chaud, les décibels sont au rendez-vous et les yeux assistent non sans cligner chaque seconde à un spectacle résolument stroboscopique.
- Jeanne Added © Jacky Joannès
Je ne peux me résoudre à l’idée que Be Sensational, le très beau disque de Jeanne Added produit par Dan Levy, l’autre moitié de The Dø, soit pour elle une réalisation, au sens le plus psychologique du mot. Comme si, après avoir erré dans un univers d’abord classique puis jazz qui aurait été trop étroit pour elle, elle avait donné enfin un sens à sa démarche musicale et balayé d’un revers de manche (celui d’une guitare basse venant sortir du jeu un encombrant violoncelle ?) un passé par trop frustrant. Car c’est souvent ainsi que les grands médias ont eu tendance à nous présenter son disque et le succès qui lui est associé. La réalité est certainement moins binaire et l’avenir montrera que de toutes les expériences acquises au fil des ans surgiront bien des surprises, dont les colorations ne seront pas exclusivement électro-pop, voire punk, comme c’est le cas aujourd’hui. Mais il se trouve que Be Sensational rencontre un succès phénoménal et que Jeanne la Rémoise attire désormais une foule considérable à chacun de ses concerts. Dont acte et tant mieux ! Elle nous offre un spectacle redoutable d’efficacité, concentré en une petite heure qui passe à la vitesse de la lumière, de toutes ces lumières dont la scène est comme foudroyée et qui suscitent un aveuglement qu’on accepte volontiers.
Car Jeanne Added, qui joue en trio avec Anne Pacéo (batterie) et Narumi Hérisson (claviers) fait parler la poudre, c’est le moins qu’on puisse dire. Sa musique est un véritable combat, comme si celle-ci se voulait le témoignage de la dureté du monde qui nous entoure. C’est une lutte, une invitation à la résistance. En aucun cas un ersatz de rock inoffensif. Il y a beaucoup de force chez elle, déjà perceptible dans un album aux contours souvent rugueux, et qui connaît sur scène une explosion plutôt fascinante. Elles ne sont que trois mais paraissent dix sur scène : Anne Pacéo, assise ou debout, cogne comme un bûcheron sur ses peaux, ses cymbales ou ses pads (pour plus de douceur, allez écouter ailleurs et retrouvez-la avec Triphase), Narumi Hérisson crée un environnement brumeux et inquiétant, instaurant une sorte d’état d’urgence de chaque instant. Jeanne Added chante dans un anglais impeccable (elle n’a pas fréquenté la Royal Academy de Londres pour rien) d’une voix puissante et d’une précision peut-être héritée d’un apprentissage du chant lyrique. Tout le répertoire de Be Sensational est mobilisé pour l’occasion, comme dans un long souffle. Il y a quelque chose de vrai dans ce qui vient de se jouer : là est la première réussite de Jeanne Added. C’est une grande, soyez-en certains !
J’hésite un peu à relater un concert auquel j’ai assisté jusqu’au bout pour ne pas méconnaître ce qui attire une foule aussi considérable, jeune de surcroît, mais qui m’a laissé fort dubitatif. Un public très nombreux donc, tassé devant la scène et battant frénétiquement des mains sur tous les temps à la façon d’un petit lapin Duracell. Le problème du contretemps est enfin résolu… Tout ce monde est heureux d’accueillir Izïa, dont le papa Higelin est connu depuis bien longtemps. A 25 ans, cette chanteuse – actrice par ailleurs – jouit d’une réputation flatteuse qu’elle a construite au fil des ans et de trois disques, dont le dernier intitulé La vague est au cœur du spectacle de ce soir.
De la manière la plus objective qui soit, je peux apporter un rapide témoignage : j’ai vu Izïa entrer sur scène, d’abord vêtue à la façon d’une meringue : c’est ainsi que m’est apparue sa robe de mousseline dont elle s’est vite délestée pour n’être plus vêtue que d’un short. Elle bouge sans cesse, parcourt la scène de droite à gauche, absorbe une dose de Ventoline et chante des chansons tantôt en anglais, tantôt en français. La sono très (trop ?) puissante laisse entendre une musique aux confins du rock et de l’électro par la forme, mais plus proche de la variété sur le fond. Je précise que je n’ai rien contre la variété mais pour avoir vu il y a bien longtemps beaucoup de groupes de rock, je dois constater une différence significative entre leur énergie brute et cette démonstration très léchée. Trop de vernis, en fait… Entre les chansons, Izïa dialogue (un peu) avec le public, dans un français parfois approximatif. Tout va très vite, très fort : au début, ce n’est pas vraiment désagréable. La chanteuse est à n’en pas douter une professionnelle qui « fait le show » sans lésiner sur les moyens, y compris visuels ; de plus, elle mobilise à l’évidence toutes ses forces physiques. Je veux bien croire qu’elle terminera heureuse mais épuisée. La performance mérite le respect mais… difficile de cacher un certain ennui au bout de quinze ou vingt minutes. C’est ainsi, il faut accepter de passer à côté et de ne pas « en être ». Je dois être trop vieux.
Conséquence directe d’un tel assaut : il ne me reste plus assez de forces pour savoir de quoi il pourrait retourner avec The Dø dont il est dit le plus grand bien ça et là. Je m’éclipse discrètement.
Une autre fois peut-être…