Magma
Félicité Thösz
Stella Vander (voc, perc), Isabelle Feuillebois (voc, perc), Hervé Aknin (voc), Benoît Alziary (vib), James Mac Gaw (g), Bruno Ruder (p), Philippe Bussonnet (b), Christian Vander (dms, voc, p, kb)
Label / Distribution : Seventh Records
Coup d’œil rétrospectif sur un album publié au mois de juin 2012 et dont la singularité dans la discographie d’un groupe atypique plus que quadragénaire, mérite qu’on y revienne.
Depuis son retour à la scène, dans la seconde moitié des années 90, Magma parcourt essentiellement son répertoire des années 70, en proposant sa relecture sur scène à travers des enregistrements live ou en choisissant d’enregistrer en studio les pièces manquantes d’une trilogie composée il y a plus de trente ans. Ainsi de K.A et Ëmëhntett-Ré, deux volets d’un triptyque dont l’autre, publié en 1974 est le brûlant Köhntarkösz, pièce maîtresse, voire sommet du répertoire du groupe.
Christian Vander commence à travailler en 2001 sur une nouvelle composition, « Félicité Thösz », que Magma interprète sur scène depuis 2008, juste après avoir terminé l’enregistrement d’un disque qui l’a épuisé : œuvre parfois déroutante, Les cygnes et les corbeaux prépare en réalité, par la complexité de sa construction introspective, l’éclosion d’une composition très fluide, marquée par la fraîcheur de son jaillissement, par un phénomène de compensation presque naturel. De là à y voir le témoignage de ce Renouveau évoqué dans l’incipit de l’album, il n’y a qu’un pas. Selon une présentation typique de l’idiome vandérien, il est ici question d’un « Rituel cérémoniel du Renouveau en place et lieu des Mondes », dont le sens échappera à la plupart des mortels, ce qui, après tout, est d’une importance très secondaire.
Félicité Thösz nous parle directement en ce qu’il exprime, avec beaucoup de spontanéité, le cœur du processus de création de Christian Vander. Ce dernier a toujours tenu à rappeler qu’il composait en chantant au piano, se présentant même comme le récepteur de sa musique. Ici, ce sont bien les voix et le piano qui forment le chœur de la fête ; tous les autres instruments - vibraphone, basse, guitare et même batterie - entrent dans la danse, mais avec une certaine discrétion. Très ramassé dans sa durée – à peine plus d’une demi-heure – le disque va à l’essentiel et frappe juste, oscillant entre les envolées aériennes d’Offering ou des Voix de Magma (« Ëlss », « Tëha »), sans pour autant oublier la force obsessionnelle et quasi guerrière qui vibre depuis l’origine dans Magma (« Tsaï »), mais mise ici au service d’une énergie qui suscite la possibilité d’une communion. Félicité Thösz, guide d’un nouveau voyage initiatique, passe ainsi de paysages en paysages, lumineux et contrastés, mis en lumière par l’interprétation habitée du groupe ; qu’il s’agisse de grands élans (en)chantés, d’un solo de piano étincelant de Bruno Ruder (qui a quitté Magma quelque temps plus tard, pour être remplacé par Jérémy Ternoy) sur « Waarhz », ou des retrouvailles avec le chant dual – car au-delà du batteur compositeur, il est aussi un chanteur assez exceptionnel – de Christian Vander (« Öhst », frénétique et entêtant, et son ambiance Tamla Zeuhl). Soulignons aussi, plus que jamais, la présence magnétique et céleste de Stella Vander, dont le chant trouve ici le terrain d’expression qu’il mérite : difficile en effet de résister à la joie qu’elle diffuse à travers une composition festive comme « Tëha », dans un registre qu’on qualifiera volontiers de soul music kobaïenne.
En guise de coda, Magma conclut l’album par « Les hommes sont venus », une composition déjà ancienne (elle était notamment au répertoire des Voix de Magma au début des années 90) dont le climat est en accord parfait avec la musique qui la précède. Le chant, une fois encore.
La démarche artistique de Christian Vander a toujours été habitée d’un profond antagonisme amour/désespoir qui nourrit son Cri depuis plus de quarante ans. On a envie de penser que Félicité Thösz est le versant lumineux de son Moi profond, dont la musique viendrait éclairer pour un temps des zones beaucoup plus sombres. Du point de vue de la sémantique kobaïenne, il est ici question du temps de la félicité : on peut alors y voir comme un écho à un autre temps, celui de la haine (en Kobaïen, « Theusz Hamtaahk », titre générique de la première trilogie magmaïenne). Puisse celui-ci être un temps reculé, qui cèdera pour de bon la place à un épanouissement plus radieux dont on apprécie l’émergence à travers ce disque fédérateur.