Chronique

Nicolas Souchal, Fred Marty

Saillances

Nicolas Souchal (tp, bugle), Fred Marty (b préparée)

Label / Distribution : Musique en Friche

Nicolas Souchal et Fred Marty sont devenus au fil du temps des figures de la musique improvisée, en particulier sur la scène parisienne. Ils ont déjà joué ensemble, en particulier avec Diemo Schwarz (électronique) au sein du trio SMS.
C’est un album relativement court : trente-neuf minutes. Tout doit être dit dans cette fenêtre d’écoute.

Une forme d’infra-musique, du moins au début de l’album, où les frottements de Fred Marty et les souffles de Nicolas Souchal nous confondent presque (« Amorce »).
L’atmosphère est calme et sombre, en particulier par la manière dont Nicolas Souchal sollicite son bugle.
La musique est intimiste ; elle ne cherche pas l’intensité si ce n’est celle de la sensibilité. Pas de phrases tourbillonnantes, pas de transe recherchée non plus, mais se mettent en place un dialogue, des trames sonores et des osmoses affectives. Une forme de réserve, de pudeur qui se dissipe lentement.
Une séquence enrouée et répétée au bugle, des cordes aux vibrations métalliques douces, des notes doubles et continues au cuivre installent une hypnose légère (« Tellurique »). Puis les trames se font plus riches, plus denses (« Affins »), avec une mélange surprenant de voix, de souffle et de notes au cuivre, alors que la sensibilité s’exacerbe sur des notes ténues aux cordes. Des cris véhéments mais étouffés, des grincements dérapant vers le suraigu, Nicolas Souchal et Fred Marty surprennent par la richesse et la diversité des sonorités projetées.
Comme le bon vin, le dialogue se bonifie progressivement, en particulier dans les quatre dernières plages. Des saveurs nouvelles éclatent, des arômes inattendus se révèlent, s’affirment au fil de l’album et au gré des nouvelles écoutes. Des craquements, des pépiements, des attaques claquantes ou feutrées, des croisements surprenants de voix et de métal, des halètements, presque des aboiements … l’étendue des sollicitations des deux instruments est saisissante ("Asanités »).
La frugalité initiale du dispositif - une basse et une trompette (ou un cornet) jouées hors registre académique - est une invitation à tendre l’oreille, à aiguiser la perception de tissus sonores fragiles, ténus, pour être ensuite totalement disponibles à l’élargissement du spectre musical, à l’acceptation et à la dégustation de l’inouï.
Et vers la fin de l’album, comme pour nous retenir, la belle dévoile d’ultimes charmes, encore cachés. L’étreinte se fait plus charnelle, plus intense (« Eegain »).

Loin des chemins de traverse et des aventures balisées, cette musique à la beauté secrète et farouche attend qu’on prenne soin d’elle, qu’on lui prête toute son attention. Elle a des trésors à offrir .