Sur la platine

Soft Machine, une mécanique de précision

Remonter un demi-siècle en arrière peut être un vrai plaisir.


La preuve, ce sera l’occasion de replonger dans l’univers de Soft Machine qui, en avril 1968, enregistrait son premier album. Sans Daevid Allen, co-fondateur fantasque du groupe et futur extraterrestre de Gong. Mike Ratledge aux claviers, Robert Wyatt à la batterie et au chant, Kevin Ayers à la basse et au chant composent ce trio d’avant-garde à l’origine du courant musical de Canterbury, du nom du campus anglais d’où est notamment sorti le groupe Caravan à la même époque.

D’emblée, Soft Machine imposa son originalité forgée dans l’exubérante matière grise de ses membres. Car les acolytes sont des intellectuels qui distillent leurs influences artistiques pour opérer une fusion musicale inédite. Ces influences sont littéraires, puisées aux sources lyriques et hallucinatoires, de Dada aux surréalistes en passant par le docteur Faustroll, et à celles, exaltées et révoltées, de William S. Burroughs. La radicalité de Cecil Taylor et le génie de John Coltrane, dont la disparition en juillet 1967 les laissait inconsolés, ont poussé Soft Machine aux confins du jazz. Et ce faisant, ils ont affiné le rock. Les sections improvisées ouvraient large le champ expérimental à leur musique, favorisaient la recherche et libéraient la sensibilité et l’énergie.

La musique se devait d’être novatrice, progressive, expérimentale et Soft Machine, servi par ses trois excellents musiciens, avait les moyens de ses ambitions. Mike Ratledge conduisait les harmonies à l’orgue et distordait les sons, Robert Wyatt assurait la partie rythmique tout en imposant son timbre si particulier et Kevin Ayers, de sa voix chaude, tournait ses phrases à la manière soufie. Ainsi, sur « We Did It Again » (Vol. 1) Kevin Ayers nous gratifie t-il d’une impro répétitive à partir du célèbre riff des Kinks sur « You Really Got Me ». Certes moins désopilante que la version « Chauffez les gamelles » de Patrick Bouchitey dans Lune froide… à voir et à revoir !

Chas Chandler, le producteur de Jimi Hendrix, s’engagea en faveur de ce premier volume et bien lui en prit. Le très accompli Volume 2 sortira en 1969 (en même temps que Hot Rats de Frank Zappa : certains ont dû casser leur tirelire !) avec Hugh Hopper à la basse pour remplacer un Kevin Ayers en voyage. La musique de Soft Machine se structure, s’intensifie, se complexifie aussi des contre-temps d’un Robert Wyatt transporté mais très présent. Third, double album enregistré en 1970, a suivi. Plutôt qu’une suite de chansons, il fait la part belle aux longs morceaux où s’affirme la fusion entre le jazz et le rock et la rupture avec la pop music. Puis arrive le Volume 4 où le groupe intègre une section de cuivres. À l’emprise de Mike Ratledge s’ajoute la lassitude d’un Robert Wyatt démotivé. D’autres LP paraîtront, sans lui. Dès lors, la Machine a un coup de mou…