Chronique

Andreas Schaerer

Novel of Anomaly

Andreas Schaerer (voc), Kalle Kalima (g), Luciano Biondini (acc), Lucas Niggli (dms)

Label / Distribution : ACT

Un disque d’Andreas Schaerer s’articule en général comme une belle histoire. Il y a un décor, vite planté, une trame folle et un peu décousue pour donner du relief et un joli drapé. Suffisamment de piment pour garantir des rebondissements inattendus. Bref, du rythme, que ce soit avec la fanfaronne Hildegard ou avec des vieux complices comme Lucas Niggli que l’on entend dans ce Novel of Anomaly, en quartet, avec l’accordéoniste Luciano Biondini et le guitariste Kalle Kalima. Deux habitués du label ACT, une donnée importante pour ce disque qui est davantage une production collective qu’une randonnée dans l’univers du chanteur suisse. Cela en change considérablement la couleur, à l’instar de « Fiore Salino », ballade nostalgique où la guitare de Kalima polit la voix jusqu’à l’adoucir, presque fantomatique. Loin de l’omniprésence sautillante et proche d’un jazz classique. Une discipline où il excelle, on ne s’en étonnera guère, même lorsqu’il ne devient pas une Human Trumpet (« Stagione », où il répond à Biondini).

C’est un changement de paradigme, pas un revirement. A Novel of Anomaly : l’histoire de ce qui pourra dans un premier temps paraître une anomalie aux aficionados du phénomène alémanique. Une histoire néanmoins, avec son récit et sa temporalité qui grignote subrepticement du terrain à mesure qu’on décèle une jubilation, comme dans « Causa Danzante », bossa nova alpine qui entraîne voix et soufflet dans une danse tournoyante. On avait l’habitude d’entendre Andreas en bateleur si ce n’est en chef d’orchestre. Un MC selon l’acception hip-hop, moins leader charismatique que distributeur de parole ; dans A Novel of Anomaly, chaque instrumentiste est une pièce d’un puzzle plus large et dessine comme une mosaïque colorée. De ces constructions naissent de nouvelles alchimies. Ainsi, sur « Signor Giudice », la voix devenue simple instrument, tout en cliquetis et en vocalises, fait face à une guitare aux racines baignées de rock. Il pourrait y avoir des heurts ; c’est au contraire une chaleureuse étreinte, nourrie par le lyrisme environnant. Un registre moins courant pour Schaerer.

Qu’on ne se méprenne pas. Le disque illustre la rencontre avec un public plus large, séduit par la performance mais qui a besoin de repères. Niggli lui aussi s’adapte, et le percussionniste se fait batteur conventionnel chargé de caréner le propos et le rendre immédiatement efficace (« Aritmia »). Cet album lui offre, sans cependant s’affadir, l’occasion de briller dans un registre plus classique. Il suffira de se passer en boucle « Planet Zumo », paradoxalement une composition de Kalima, pour retrouver le Schaerer étincelant et funambulesque. On ne le perd d’ailleurs jamais vraiment de vue, d’autant qu’à porter collégialement la direction musicale, il se lance parfois dans des acrobaties vocales qui parviennent à être virtuoses sans se réduire à cela, conservant une grande légèreté et une forme de candeur enfantine (« Laulu Jatkuu »). Pour Schaerer, le chant est une langue à part entière, lui qui les parle toutes. Il est amusant de voir que dans A Novel of Anomaly, il passe du guttural allemand ou romanche à la rondeur latine de l’italien pour exprimer plus de douceur. On se fait promptement au nouveau climat ; et il est naturel de partager de tels trésors !