Scènes

Exposure Series de Chicago : recherche visibilité désespérément

Trois talents montants sont invités à se mesurer à la scène de Chicago, ce sont les Exposure Series.


Ava Mendoza © Julia Dratel

Le mini-festival de musiques improvisées Exposure Series qui se tient à Chicago vise à inviter des musiciens qui n’ont pas pour habitude de passer dans la ville du Middle West afin qu’ils se frottent à des musiciens locaux.
Pour sa 4e édition, du 2 au 4 mai 2019, les trois visiteurs étaient la guitariste Ava Mendoza (New-York), la percussionniste Claire Rousay (San Antonio) et le trompettiste Forbes Graham (Boston). Durant ces trois jours, cette brochette de musiciens a fait partie de formations inédites, chacun ayant eu l’occasion également de s’exprimer en solo.

Ava Mendoza est clairement sortie du lot en raison de son jeu qui emprunte beaucoup à l’univers du rock. Son récital en solo était un phénomène à part, car il ne reposait pas vraiment sur l’improvisation. Pour premier morceau, un assemblage de riffs qu’elle avait travaillés à l’avance et agencés en fonction de l’humeur du moment. Toujours attachée à une mélodie, elle évoque les grands espaces américains ou une certaine noirceur. En l’écoutant, on peut imaginer ce qu’aurait donné John Fahey s’il avait un jour décidé de passer à la guitare électrique. Cette singularité fait que son duo avec Dave Rempis a permis de voir le saxophoniste sous un nouveau jour. Il lui a fallu revoir son approche, car la guitariste ne s’est jamais départie de son langage rock et mélodique en dépit de la tournure free jazz du set. Rempis a notamment utilisé la respiration circulaire pour se fondre à la guitare et à son flux sonore ininterrompu. En effet, Mendoza a eu recours à des pédales pour créer des loops et un fond musical constant, mais aussi pour ralentir les débats et leur donner une nouvelle direction. Une rencontre réussie qui mérite de faire des petits.

Claire Rousay © Julia Dratel

De son côté, Claire Rousay a déçu en donnant l’impression qu’elle n’avait pas plus d’un tour dans son sac. Son arsenal se compose d’un tom basse, d’une caisse claire et de tout un bric-à-brac incluant des objets trouvés (canette en alu, emballage en plastique…). Au bout de trois jours, sa pratique a commencé à devenir trop convenue et prévisible — la brièveté des sets auxquels elle a participé permet d’ailleurs de s’interroger sur les limites de son jeu ou sur sa volonté de ne pas sortir de ses recherches actuelles. Par conséquent, c’est son premier concert en duo avec la vocaliste Carol Genetti qui a suscité le plus d’intérêt. Genetti traite sa voix à l’électronique et produit des sons qui oscillent entre hululements, cris, miaulements, borborygmes et mots inventés. Dans ce contexte, Rousay, qui travaille sur les tessitures, les timbres et les réverbérations de ses instruments, s’est avérée d’une grande complémentarité. Qu’elle utilise des balais, des baguettes ou des mailloches, elle fait grincer les peaux des tambours ou des bols en métal. Elle racle et tape également les parties en métal de ses fûts dans un souci de discordance. La collaboration entre les deux musiciennes a finalement débouché sur un dialogue fascinant et un mariage acoustique troublant.

Angel Bat Dawid est capable de passer en revue l’histoire du jazz

Forbes Graham © Julia Dratel

Il ne reste alors que le cas Forbes Graham. Bien qu’inégal, il a su sortir son épingle du jeu durant son séjour. Souvent à son poste de commande, il dirige son univers sonore, assis derrière une table sur laquelle sont posés un ordinateur portable et tout un éventail de sourdines. En solo, l’ordinateur lui sert à générer des sons aléatoires (batterie, programmes de radio, piano, crépitements…) qui viennent progressivement se superposer, son jeu de trompette reposant essentiellement sur les tessitures. Il n’est pas toujours facile de suivre son cheminement, même si on pouvait éprouver à la fin de son concert le sentiment que la boucle était bouclée. Sans lui, le quartette avec la multi-instrumentiste Angel Bat Dawid, le contrebassiste Kent Kessler et la violoncelliste Lia Kohl aurait certainement viré au naufrage. Il faut dire que Dawid a de quoi intimider. Elle est aussi impressionnante par son physique que par son charisme. Ses interventions au piano prennent parfois la forme de véritables lames de fond et elle s’est montrée capable de passer en revue l’histoire du jazz, de Fats Waller à nos jours, en l’espace d’un éclair. Ses complices d’un soir n’avaient donc qu’à bien se tenir. Malheureusement, Kohl était bien timorée et Kessler se demandait un peu ce qu’il faisait là. Seul Graham semblait en mesure de lui renvoyer la balle, l’ordinateur produisant cette fois-ci des sons semblables à ceux d’un synthétiseur analogique à partir d’une sourdine qui lui était reliée. Enfin, le dernier jour a été l’occasion d’entendre Forbes Graham sans artifice avec un quartette composé de Mendoza, du contrebassiste Joshua Abrams et du batteur Tyler Damon.
Dans une formation plus traditionnelle, son jeu a rappelé celui de Wadada Leo Smith. Mais c’est son intelligence qui a frappé. Le trompettiste sait faire preuve de patience et rester sur la touche quand il le faut plutôt que de chercher à s’imposer à tout prix et d’encombrer inutilement le terrain.