Scènes

Anglet, cerise sur le gâteau

Retour sur l’édition 2021 du festival d’Anglet


Laurent Derache © Pierre Vignacq

Il fait rudement bon terminer l’été sur la côte basque, surtout lorsque la fin de saison se fait avec du jazz. Retour sur la quatorzième édition du festival d’Anglet.

Le théâtre du Quintaou est un rendez-vous régulier pour les mélomanes qui laissent traîner leurs écoutilles du côté d’Anglet mi-septembre. Car chaque année, la ville balnéaire accueille pendant quatre jours un festival de jazz qui a fait sa place localement et au-delà. La figure de Marc Tambourindéguy, co-fondateur et programmateur, est centrale et lorsqu’on capte des bribes de discussions, « Marc » est un prénom qui revient régulièrement. Marc par-ci, Marc par-là, c’est la preuve qu’un festival, ce sont avant tout des hommes et des femmes qui le portent.

Mais un festival, ce sont également les musiciens et les musiques qui y sont à l’affiche et sur scène. Cette année, il faut croire que les promesses ont été tenues et chacune des soirées a été à la hauteur des espérances. Là encore, en laissant traîner ses oreilles, on glanait un même discours : plus ça va, plus la programmation est de qualité. De bon augure puisqu’un public heureux, n’est-ce pas une énorme satisfaction pour celles et ceux qui s’échinent à l’organisation ?

Il est vrai qu’on n’accueille pas Nguyên Lê sans avoir la certitude d’assister à un très beau concert. Le guitariste était ici à la tête du Stream quartet augmenté de la participation de la toujours incroyable Leïla Martial. Ils ont déroulé un répertoire entre jazz, rock et gammes orientales, à l’image de ce passeur de mondes culturels qu’est le musicien franco-vietnamien. Une épopée ultramarine en somme. Juste avant eux, Pierre de Bethmann, Sylvain Romano et Tony Rabeson avaient initié la soirée et, pour le coup, ouvert l’édition 2021. Pour qui oppose Anciens et Modernes, le registre fut aux antipodes du Stream car le trio piano, contrebasse, batterie proposait des interprétations de standards. Mais de Bethmann pose la bonne question : « qu’est-ce qu’un standard ? », signifiant ainsi que la partition entre tenants d’un jazz classique et adeptes d’un jazz contemporain est dépassée. Le trio a revisité Monk, Ravel, et a terminé avec Stevie Wonder, preuve que le swing - car ça a réellement swingué - se dissout très bien dans des genres différents.

Pierre de Bethman © Pierre Vignacq

Le lendemain, on était dans un autre registre, signe là encore qu’Anglet vise, peut-être pas tous les jazz, mais un certain nombre de ses ramifications. Giovanni Mirabassi, le pianiste le plus romantique qui soit, Sarah Lancman et Olivier Bogé y revisitaient des chansons italiennes. On sait que Mirabassi adore le genre. Sa discographie et son parcours de musicien parlent pour lui : Cantopiano, quinze ans d’âge, Avanti ! plus ancien encore, Léo en toute liberté en compagnie de Nicolas Reggiani. Avec Sarah Lancman, il mène un projet plein d’amour et de passion. La présence d’Olivier Bogé au sax alto venait parfaire cet Intermezzo et « L’Hymne à l’amour », issu de Parisienne de Lancman, est venu clore avec émotion ce tour de chant transalpin.

Giovanni Mirabassi et Sarah Lancman © Pierre Vignacq

Un changement de plateau plus tard et le quartet d’Airelle Besson, avec Fabrice Moreau, Benjamin Moussay et Isabel Sörling, s’emparait des planches. Les amateurs du genre n’apprendront rien : la formation parcourt les salles et festivals depuis plusieurs années maintenant. Sauf qu’on reste toujours groggy face à ces superbes jeux et répertoire. Standing ovation et rappel insistant ont permis au concert de s’enrichir de deux morceaux et d’autant de sensations. On sort de la salle un peu flottant et légèrement enivré.

Le lendemain, il drachait bien comme il faut. Un temps de chien, pour tout dire. Pas toute la journée mais suffisamment pour rappeler la fin de l’été. Au théâtre, on est à l’abri bien sûr. Mais malgré ce cocon, le lien avec l’extérieur filtre et il fallut l’inspiration du quartet de Matthieu Chazarenc pour remettre la poésie au centre. Il y était avec l’accordéoniste Laurent Derache, malheureusement pas suffisamment connu, Sylvain Gontard au bugle et Christophe Wallemme à la contrebasse, sur un répertoire coloré, quelquefois circassien, aux accents de temps en temps cinématographiques à l’image de « Villa Verde », occitan avec « Se canto » et même nougaresque quand il rendait hommage à la Garonne, celle-là même qui traverse Agen, ville natale du batteur-leader. Et puis Shai Maestro le bien nommé. Le pianiste s’inscrit dans cette forte tradition de musiciens israélo-américains qui, depuis Avishai Cohen, occupent avec bonheur le devant de la scène médiatique. Ils mettent en exergue une tradition orientale qu’ils marient aux codes jazzistiques. Le quartet piano, basse, batterie, trompette - Maestro y était avec Jorge Roeder, Ofri Nehemya et Philip Dizack - a présenté une superbe musique, délicate à souhait, à l’image du catalogue ECM chez qui émargent ces musiciens. Une respiration, aussi discrète qu’elle était intense, aurait pu accueillir la fin du concert. Ce fut un tonnerre d’applaudissements. On venait tout simplement de remettre les pieds sur terre après une épopée hypnotique et on se demandait « À quand le prochain voyage ? »