Entretien

Philippe Gordiani

Pour ce troisième volet concernant le collectif imuZZik, le guitariste Philippe Gordiani nous parle du trio I-Overdrive.

  • Pourquoi ce projet en hommage à Syd Barrett ?

J’ai choisi le nom de ce trio avant de savoir que nous allions travailler sur un répertoire de chansons de Syd Barrett. C’est en référence au morceau « Interstellar Overdrive », titre-phare du premier album de Pink Floyd, Piper at the Gates of Dawn. Cet ovni dans le paysage musical de la fin des années soixante est un instrumental free rock qui se construit à l’image d’un standard de jazz sous la forme thème – improvisation — thème, c’est un riff typiquement rock avec un son entièrement psychédélique qui laisse une très grande part à l’improvisation collective.

Au début, avec le trio, on a commencé à travailler sur mes compositions, mais j’avais toujours en tête la couleur de ce morceau comme direction à suivre. Puis je me suis rendu compte que je n’avais pas envie de composer pour ce trio, je préférais me libérer des contraintes issues de la composition afin d’aborder plus librement la musique en tant qu’interprète et improvisateur. Je suis arrivé en répétition avec quelques adaptations de morceaux issus du premier Pink Floyd, on les a essayées et là, et ça été une révélation ; le son du trio à pris une ampleur et une homogénéité incroyables… Je me suis rendu compte que les morceaux que j’avais choisis étais tous signés Barrett ; j’ai donc ressorti l’intégrale et je n’ai écouté que ça pendant un mois. J’ai choisi quatorze titres issus du premier Pink Floyd mais aussi de ses albums en solo, je les ai adaptés, et le répertoire s’est construit en trois répétitions, comme une évidence…

  • C’est une idole musicale ?
Philippe Gordiani © H. Collon

Ce personnage m’a toujours fasciné, moi qui viens du rock : mes pères musicaux sont issus pour la plupart de la fin des années soixante (Zappa, Crimson, Hendrix, Soft Machine….) et Syd Barrett a toujours eu une place à part. J’adore ses chansons déstructurées et naïves, sa nonchalance artistique et surtout ce mythe du rockeur viré de son propre groupe qui, schizophrène, repart à vingt-cinq ans chez sa mère faire du jardinage jusqu’à la fin de sa vie, alors que le monde du rock le supplie de faire un nouvel album.

Syd Barrett a toujours eu une place à part. J’adore ses chansons déstructurées et naïves, sa nonchalance artistique…

En lisant des documents sur la première tournée de Pink Floyd (la seule avec lui), j’ai aussi découvert que c’était un improvisateur complètement allumé ; il était capable de partir dans des expérimentations sonores avec sa Telecaster pendant que le reste du groupe attendait qu’il se remette a chanter la suite de la chanson. Il abordait la musique live en homme libre, en improvisateur coincé dans le monde du rock… Tous ces éléments n’ont fait que rajouter de l’eau à mon moulin ; ils n’ont fait que renforcer mon envie de réaliser l’album Hommage à Syd Barrett.

  • Comment s’est déroulée la rencontre avec les deux autres musiciens ?

J’avais rencontré Bruno Tocanne lors de ses concerts, il y a plusieurs années, à la salle Genton (Lyon) ; j’avais adoré sa musicalité, sa liberté de coloriste du rythme, sa manière de jouer avec les autres en créant un discours parallèle. Je l’ai contacté et c’est lui qui m’a parlé de Rémi Gaudillat à la trompette. Dès qu’on a commencé à travailler, on a tout de suite compris que chacun pouvait garder sa liberté et sa personnalité ; la forme sans basse laisse la musique ouverte et nos personnalités musicales - différentes - sont complémentaires : chacun creuse son propre style au service de ce trio.

  • Tu viens d’un univers plutôt du rock. Pourquoi avoir choisi des musiciens de sensibilité plus jazz ?

La différence entre le rock et le jazz se trouve pour moi dans le rapport au son. Jouer du rock c’est chercher un son, alors que jouer du jazz c’est utiliser un langage (qui influe évidemment aussi sur le son). J’ai donc souhaité travailler à l’élaboration d’un son avec une équipe habituellement plus axée sur le langage afin de ne pas limiter le trio dans son approche de l’improvisation.

  • Comment as-tu trouvé l’équilibre entre une certaine fidélité spirituelle à l’inspiration et ta démarche esthétique de réappropriation ?

J’ai travaillé à l’élaboration de ce set comme j’aurais travaillé pour mettre au point un nouveau répertoire avec une formation rock. Pour moi, ce travail est un retour aux sources ; après plusieurs années à jouer du jazz, j’ai toujours senti qu’il fallait que je retrouve la part rock de ma personnalité musicale, celle de mes premiers groupes. Le jazz ne doit pas gommer cette source d’inspiration. J’ai appris la guitare en relevant Hendrix, Zappa… les guitaristes de jazz, je les ai relevés pour apprendre un langage mais ils ne m’ont jamais donné les mêmes frissons. C’est compliqué, dans le monde du jazz, de vouloir sonner rock et de défendre une simplicité dans l’approche musicale, en prônant le son plus que le langage, en pensant que jouer un accord sans extensions ça peut être plus riche qu’avec…

C’est compliqué, dans le monde du jazz, de vouloir sonner rock et de défendre une simplicité dans l’approche musicale, en prônant le son plus que le langage…

C’est donc dans le rapport au son que j’ai essayé de trouver un juste équilibre entre les versions originales et celles que nous avons réalisées. J’ai voulu un son brut, énergique où la trompette de Rémi Gaudillat porte les thèmes (c’est à dire les parties vocales de Barrett) afin de garder un lien fort avec les originaux et où Bruno Tocanne et moi-même nous sommes libres de porter les rôles d’accompagnateurs rythmiques et harmoniques avant de nous retrouver tous les trois dans des improvisations collectives. Mais le facteur le plus important dans cette réappropriation, c’est notre envie de donner à entendre ces morceaux, qui est plus forte à chaque fois que nous donnons un nouveau concert.

  • Dans ton travail de composition, dans quelle mesure la personnalité dérangée de Syd Barrett t’a-t-elle inspiré ?

La personnalité de Barrett m’a beaucoup aidé à faire certains choix artistiques. Quand on a l’occasion d’écouter certaines versions de ses chansons (sur les intégrales), on comprend que son approche de la musique est libre du résultat. Elle passe par une immédiateté qui déclenche une musique au bord du chaos, une musique déstructurée. Ce rapport à la liberté dans la musique est très proche de la musique improvisée.

La personnalité de Syd Barrett, d’après ce que j’ai lu et écouté, m’a donné beaucoup de liberté. J’ai pu appréhender sa musique sans en faire un mythe intouchable. Au contraire. Sa personnalité m’a permis de chercher une matière propre à développer mon langage musical personnel et surtout celui du i-overdrive trio.

I OVERDRIVE TRIO :

Philippe Gordiani guitare
Rémi Gaudillat trompette, bugle
Bruno Tocanne batterie