Entretien

Pierre Villeret apporte sa pierre à l’igloo

Un entretien emprunt d’espoir et d’envie avec Pierre Villeret, fraichement nommé directeur d’Igloo records.

Pierre Villeret © Damien Lorrai

Avec 40 ans d’activité et plus de 500 productions de disques au compteur, voilà que le label bruxellois qui a porté l’éclosion de légendes et de stars belges et internationales (de Philip Catherine et Chet Baker, Eric Legnini et Jean-Louis Rassinfosse à Fabrizio Cassol, Mélanie de Biasio, Pascal Schumacher et Greg Houben) nomme en 2020 un nouveau directeur, et il est français. Pierre Villeret n’est pas un inconnu puisqu’il a été directeur de l’AJMI - Jazz Club à Avignon puis chef de projet à Music:LX au Luxembourg. Il nous tarde d’en savoir un peu plus sur ses envies et les défis qui se présentent à lui en ces temps complexes.

Pierre Villeret par © Damien Lorrai

- De tous les engagements qui ont fait la force d’Igloo, lors de sa création dans un autre contexte, en 1978, quel est celui qui vous inspire le plus ?

Comme pour une programmation de concerts, c’est la vision globale qui m’intéresse et me nourrit le plus.

- Un exemple, un artiste/album ?

Encore une fois, c’est la vision d’ensemble qui donne un sens et permet une compréhension, ce qui ne signifie pas que je n’ai pas d’affect ou de préférences, mais elles n’ont de sens que pour moi. L’objectif d’un label, d’un éditeur de musique est la mise en valeur de celle-ci et sa diffusion auprès du plus grand nombre.

- A quoi pense-t-on quand on prend les rênes d’un label dont on a l’âge ?

On se dit qu’il ne va pas falloir se planter ! Sérieusement, cela nécessite d’en comprendre l’histoire, les différentes époques, les acteurs et les problématiques qu’ils ont rencontrées en leur temps. En bref, ce qui a constitué la structure et déterminé son fonctionnement actuel. C’est très stimulant de s’intégrer à un processus déjà lancé, dont on ne détermine pas le rythme et qui nécessite avant tout de s’adapter à l’existant, du moins dans un premier temps. C’est évidemment très différent de créer quelque chose à partir de rien, lorsque l’on doit tout inventer. Dans mon cas, il y aussi le fait de devoir s’adapter et s’intégrer à un autre pays et à ses usages, ce qui impose un questionnement permanent et de nombreux ajustements.

le « numérique » n’est pas le problème, il s’agit d’un type de médias, comme d’autres

- On savait l’économie des labels de disques fragilisée par le tout numérique, or, vous prenez vos fonctions au moment de cette crise sanitaire du Covid qui a contraint les amateurs de musique à aller vers encore plus de streaming ! Que porte/signifie encore l’objet disque dans ce contexte en 2020 ?

En effet, ce n’est pas la période la plus simple… Par contre, je tiens à insister sur un point : à mon sens, le « numérique » n’est pas le problème, il s’agit d’un type de médias, comme d’autres. C’est le partage des revenus générés qui pose problème… comme pour bien d’autres sujets d’ailleurs.
Je plaisantais au début de la crise, en disant que c’était le bon moment pour passer de la scène au disque. C’était une boutade, bien sûr, car on sait que si la distribution traditionnelle génère de moins moins de revenus, les disques se vendent surtout lors des concerts, et que cette tendance ne fait que s’accentuer. Par principe, ça me plaît bien au fond : ça nous attache à la réalité de la création musicale, à sa vie, ce qui la lie au public. J’aime ce qui relie les gens entre eux.

A titre personnel, je trouve très intéressant de profiter des différents médias, passer d’un CD à une plateforme de streaming pour revenir à un vinyle, sans oublier la radio, car ils imposent / permettent tous une écoute différente, qui correspond à une situation particulière. C’est intéressant également de réaliser à quel point le média conditionne, donne un cadre à la création par les contraintes qu’il lui impose. Aussi, on ne peut pas séparer de manière stricte d’un côté la scène, l’instant, la vie quotidienne et de l’autre la production d’un objet contenant une œuvre achevée, conçue pour traverser le temps.

Si on considère que notre activité consiste à documenter la création artistique, chaque média peut répondre aux nécessités d’une étape de travail. Il suffit, pour comprendre, de se pencher sur l’utilisation que font nombre d’artistes et de labels de Bandcamp, par exemple, qui permet d’utiliser tous les médias : streaming, téléchargement, mais aussi vente par correspondance de CD, vinyles et tout autre objet. « L’objet » est un sujet dont nous parlons beaucoup, car il ne s’agit plus forcément d’un disque… et ça devient passionnant !

- Comment fait-on pour donner la visibilité qu’elles méritent aux musiques dites « non-commerciales » ?

Il va falloir définir ce qu’est une musique commerciale pour savoir si une autre ne l’est pas et je vous promets que notre objectif est bien de vendre des disques ! En schématisant, je dirais qu’il y a bien deux démarches différentes, comme pour la programmation d’une salle ou d’un festival.

D’un côté la démarche commerciale consisterait à s’interroger sur ce que connaît déjà le public le plus large possible pour proposer ce qui satisfera le plus grand nombre. D’un autre côté, il s’agirait de partir de l’artiste, de l’œuvre et de trouver le public qui lui corresponde, pour ensuite tenter de l’étendre. Les deux démarches peuvent être suivies conjointement et c’est peut-être le dosage, la balance entre les deux qui fait la différence. Pour revenir à la question, je crois que pour donner à une musique la visibilité qu’elle mérite, il faut la prendre comme elle est et simplement s’engager pour elle, lui donner les moyens de rencontrer un public.

- Vous avez été directeur et programmateur de l’AJMI-Jazz Club à Avignon et avez donc très bien observé les problématiques des salles de concerts. Quel est le point commun entre ces deux rôles de direction ?

L’AJMi et Igloo ont été créés la même année, en 1978 – moi aussi d’ailleurs. C’est déjà un point commun fondamental pour les appréhender. Dans les deux cas, cela consiste à prendre le train en marche, apprendre, comprendre, s’adapter. Absorber le plus d’informations, de matière possible pour être en mesure de produire, d’apporter soi-même quelque chose.

- A quoi aimeriez-vous parvenir à court ou long terme, pour ce label déjà exemplaire ?

J’aimerais… Ne pas me « planter » ! Apporter ma pierre (sans jeu de mot) à l’édifice, contribuer à sa construction, tout simplement.