Tremplin Jazz d’Avignon : contre vents et marées
L’édition 2016 marquait le 25ème anniversaire du festival Tremplin Jazz
Photo : Les lauréats du tremplin © Claude Dinhut / TJA
La significative diminution de subvention de part de la Ville d’Avignon aurait pu gâcher la fête… que nenni ! Certes, le roseau dut plier quelque peu mais ne rompit pas pour autant : amputée d’un jour, la programmation n’a rien perdu de sa superbe et le festival compense ce désagrément par un co-plateau de rêve lors de sa soirée de clôture.
Dimanche 31 juillet : Airelle Besson 4tet
Cette soirée marquait la fin de la tournée de Radio One, le tout nouveau projet d’Airelle. Le quartet a donc eu le temps de bien « roder » l’album sur la route, « Come Rain Or Come Shine ». Et on ne croit pas si bien dire : les balances se feront sous une forte pluie (des barnums protègent la scène), chassée par le vent du Nord juste avant le début de soirée.
La fraîcheur baignera alors le Cloître des Carmes ; un climat qui sied à l’univers de Radio One, incarné par la voix de la Suédoise Isabel Sörling. On voyage loin, jusqu’aux confins des forêts du Nord de la Suède (initialement joué par Nelson Veras et Airelle sur Prélude, « Neige » semble avoir été composé pour Isabel, tant il résonne en elle). La vocaliste excelle également sur « Galactée », entre douceur et force, murmures et cris qui viennent déchirer le silence de la nuit. Son timbre éthéré épouse parfaitement celui de la trompette, les contre-chants et les unissons sont du plus bel effet, fruits de l’écriture très précise d’Airelle. Chaque solo de Benjamin Moussay (piano, basse-synthé, Fender Rhodes) emmène le quartet et l’auditeur encore plus loin dans ces riches contrées soniques, soutenu par d’intenses rythmiques électro (excellent Fabrice Moreau, surprenant dans ce registre), ainsi que par les nombreuses textures et couches vocales dont Isabel fait usage avec diverses pédales d’effets : Freeze, Line 6 pour les boucles, delay, entre autres.
Airelle jongle entre attaques incisives (on pense à Tom Harrell), chaleur et douceur de ses cuivres (trompette, bugle).
A la demande du public (mais sans se faire prier), le quartet jouera les prolongations « sur le ring », le temps de deux rappels.
- Airelle Besson (tpt), Isabel Sorling (voix) © Claude Dinhut TJA
1ère partie : Thibault Gomez 6tet
Si nous gardions un excellent souvenir du sextet lyonnais, vainqueur 2015 du Tremplin (Grand Prix du Jury), c’est un groupe et un répertoire métamorphosés que nous retrouvons cette année et ce, pour le meilleur.
Affranchi de la forte empreinte « Jazz Messengers » qui lui collait à la peau, le sextet du pianiste Thibault Gomez a délivré un tout autre set, conté une toute autre histoire : la sienne. La vie/le temps ayant fait son œuvre, le groupe a gagné en maturité et a su s’aventurer sur des chemins de traverse. Résultat : des compositions expérimentales très intéressantes, servies impeccablement par chacun des musiciens et auxquelles le tromboniste Robinson Khoury ajoute une touche d’éclat. Cette session live se poursuivait aux studios de La Buissonne (fidèle partenaire du festival) dès le lendemain, dans le cadre de l’enregistrement du premier album du groupe. Affaire à suivre de très près !
Lundi 1er & Mardi 2 août : place au Tremplin
Qui donc pour succéder au Thibault Gomez 6tet ? Cette année encore, les candidatures très nombreuses venaient de très loin, et même d’Espagne et du Royaume Uni.
La sélection est, comme à l’accoutumée, très pointue mais on reste toutefois avec l’envie d’entendre une palette ouverte sur tous les jazz ; un spectre qui reflèterait davantage la ligne artistique du festival et la jeunesse des candidats se présentant au tremplin. On notera l’absence de vocalistes, très nombreux en 2015 (peut-être un « mauvais cru » vocal ?) Le Grand Jury comptait deux nouveaux membres : Didier Bergen, directeur artistique de All That Jazz (tiens, vous avez dit « tous les jazz » ?) et Kyle Eastwood en invité spécial à la présidence.
Comme à l’accoutumée, six groupes en lice, quatre prix dont le « Graal », tant convoité (Grand Prix du Jury : l’enregistrement d’un premier album aux Studios La Buissonne ainsi qu’un concert en première partie, l’année suivant la « victoire » du groupe).
Focus sur trois des groupes que nous avons vu concourir :
Garbage Ghost (Fr/Be)
Fragilisé par la défection, une semaine avant de concourir, du pianiste également en charge de la MAO et remplacé au pied levé par Benjamin Bogloire - dont on salue la performance au vibraphone & basse-synthé - le trio n’a pas réussi à convaincre : saxophone hésitant, exécution de jeu plutôt scolaire… desservant les bonnes idées et le répertoire électro-progressif.
Saluons tout de même le courage et la ténacité du groupe car, au vu de telles circonstances, Garbage Ghost aurait largement mérité un prix qui reste à créer : le Prix de la Bravoure. A bon entendeur…
Just Another Foundry (All)
D’entrée de jeu, l’assurance de « JAF » fait la différence. Le trio se démarque aisément, tant par sa maturité, ses compositions au registre free jazz que par la qualité de ses arrangements et le son de groupe. Nul doute, ces trois-là ont beaucoup, beaucoup joué ensemble et tous trois excellent de finesse, le saxophone alto de Jonas Engel épaulé par une rythmique contrebasse (Florian Herzog) / batterie (Anthony Greminger) à toute épreuve. Le trio fait grande impression auprès du public et de certains membres du Grand Jury… mais les jeux ne sont pas faits… suspense.
Frédéric Perréard Trio (Fr)
Première configuration piano-contrebasse-batterie de la soirée ; « une bouffée d’oxygène », diront les amateurs du genre, souffrant de l’absence d’instrument harmonique au sein deux autres formations en lice. Accompagné de Samuel F’Hima à la contrebasse et d’Arthur Alard à la batterie, les compositions de Frédéric Perréard témoignent d’un jeu empreint d’influences aussi diverses que celles d’Aaron Parks, de Herbie Hancock ou encore de Dave Holland, pour ne citer qu’eux. Le jazz proposé est un jazz moderne et jeune qui, de toute évidence, séduit le public…
Mais ce sont l’exubérance et l’énergie de MorganFreeman (NL) qui remportent tous les suffrages du public. Un répertoire original, un batteur extravagant (l’Américain Tristan Renfrow), un pupitre de soufflants époustouflant (Andrius Dimitrius au sax ténor et Dennis Sekretarev à la trompette), dans la plus pure tradition hard bop.
Pendant les délibérations du Grand Jury, les six finalistes font connaissance sur scène lors de la traditionnelle jam session. Elle sera spectaculaire comme rarement ! De mémoire de festivalier on n’avait jamais « vu » la mayonnaise prendre aussi vite et bien : du caviar hard bop, servi « hot, hot, hot ».
And The Winners Are…
Grand Prix/Grand Jury : Just Another Foundry (All)
Prix du Public : MorganFreeman (NL)
Prix Sacem/Compo : MorganFreeman (NL)
Prix du Meilleur Instrumentiste : Amaury Faye (lauréat du ReZZo Focal/Jazz à Vienne 2016)
Nous retrouverons donc JAF sur la scène du Cloître l’an prochain, un premier album en poche, en première partie d’une des têtes d’affiche 2017 du festival.
- MorganFreeman © Claude Dinhut / TJA
Mercredi 3 août : Sinne Eeg / Kyle Eastwood 5tet
Double cerise sur le gâteau avec un co-plateau de rêve pour clore en beauté cette 25e édition. Il fallait bien compenser ce jour en moins de festival !
Unique date en France du « joyau le mieux gardé du jazz vocal danois ». Un privilège donc pour le public avignonnais qui a eu droit à un grand moment de sophistication.
Avec déjà sept albums à son actif, la vocaliste danoise maîtrise parfaitement l’art du storytelling, entre standards de jazz revisités et compositions plongeant l’auditeur dans la folk scandinave. Le timbre de voix est très chaud, non sans rappeler celui de Diana Krall, même si la tessiture de Sinne Eeg est plus large (on appréciera ses belles envolées dans les aigus). Un phrasé incisif, un scat irréprochable qui brille particulièrement dans les échanges en 4/4 avec son quartet de choc : Jacob Christoffersen (piano), Lennart Ginman (contrebasse) et Zolstan Csörz (batterie). « Windmills Of Your Mind/Les Moulins de mon Cœur » sera le point d’orgue du concert, grâce notamment au thème exposé en duo piano-voix, sous un beau clair de lune. L’astre sera à l’honneur le temps d’un rappel avec une version up tempo de « What A Little Moonlight Can Do » dans la lignée de celles de Blossom Dearie (intro contrebasse – voix), Nancy Wilson, Dianne Reeves… loin de la version chaloupée que l’on peut entendre sur Face The Music (Stunt Records/Sundance), l’avant dernier album du quartet de Sinne.
- Sinne Eeg © Claude Dinhut / TJA
Armé de son quart de contrebasse, Kyle Eastwood - Président du Grand Jury 2016 - et son flamboyant quintet donnent le ton d’entrée de jeu avec « Prosecco Smile » : une ligne de basse funk sur une tourne de batterie électro, un jeu de piano percussif ; le tout complété par un duo de cuivres aux riffs hard bop sévèrement musclés : il y a du « Filthy McNasty » dans l’air ! Le concert tout entier est un voyage en première classe avec la fine fleur du jazz britannique : Quentin Collins (tpt/bugle), Brandon Allen (sax ténor et soprano), Andrew McCormack (piano) et Chris Higginbottom (batterie). Kyle le sait bien : qui mieux que ces « Fab Four » pour l’accompagner sur ce répertoire ? Le pupitre « QC/BA » excelle en tout point : les deux soufflants se connaissent par cœur puisqu’ils ont par ailleurs un quartet ensemble. Mention spéciale pour Quentin Collins dont les chorus sont plus spectaculaires les uns que les autres, parfaite synthèse entre Freddie Hubbard et Lee Morgan.
Le set joué ce soir-là s’axe principalement sur Time Pieces (Jazz Village, 2015), à l’exception des titres « Marrakech », « Big Noise from Winnetka », tirés de l’album Paris Blue (Concord Records, 2004) et « Letters From Iwo Jima » (bande originale du film éponyme de Clint Eastwood, 2006), revisitée en un somptueux duo piano – basse fretless.
L’occasion de saluer les improvisations d’Andrew McCormack et son remarquable chorus sur « Peace of Silver », l’hommage de Quentin Collins à Horace Silver. Autre hommage avec « Dolphin Dance » d’Herbie Hancock. Charles Mingus sera également à l’honneur avec une version du fameux « Boogie Stop Shuffle » en guise de rappel.
Le deuxième rappel sera une belle surprise pour toute l’équipe du festival : les 25 bougies du gâteau « king size » illuminent la scène, tandis que retentit un « Happy Birthday » joué par Kyle et ses musiciens, visiblement très émus.
Souhaitons que le jazz souffle encore longtemps sur la Cité des Papes !