Rodrigo Amado & Chris Corsano
The Healing
Rodrigo Amado (ts), Chris Corsano (d)
Label / Distribution : European Echoes
Il y avait eu, en 2019, No Place To Fall, paru sur le label texan Astral Spirit, qui marquait le premier acte d’une rencontre évidente, attendue, pleine de surprises néanmoins. Cette rencontre, c’est celle de deux poids lourds de leur instrument, sur un ring à géométrie variable. Rien, c’est vrai, ne pouvait laisser penser qu’une rencontre entre Rodrigo Amado au saxophone ténor et Chris Corsano à la batterie puisse être autre chose qu’une lutte puissante et un corps-à-corps fiévreux. Erreur : il y avait déjà de la douceur dans ce premier album, il y en a davantage dans The Healing paru chez European Echoes. « The Healing Day », long face-à-face éclairé par cette vieille tradition du free jazz des duos ténor/batterie, tient tout autant de l’étreinte amicale et fraternelle que de la joute pleine de tension. Mieux, on peut penser que le duo trouve une forme d’équilibre.
On le sait, Amado aime les angles droits et les perspectives ; à plus d’un égard, son jeu est graphique et anguleux, l’immédiateté compte mais elle se doit d’être prompte. Le jeu de Corsano, qui est souvent un feu couvant sous la broussaille, martelant les tambours comme pour donner plus de fulgurance à ses cymbales, s’accommode à merveille du jeu très direct de son complice, qui aime être poussé dans ses retranchements par des roulements de caisse claire. Aucun des deux improvisateurs ne cherche la performance ou à briller, il y a quelque chose d’une efficacité spontanée et sans fioriture qui peut passer par des rages individuelles, notamment de la batterie, que Rodrigo Amado laisse aller seul au feu. On le voit, le principe du face-à-face se dissout pour laisser place à une alliance, à une force collective qui trouve son point de fusion dans le très beau « Griot ».
Il y a dans ce morceau quelque chose qui se nourrit aux racines du free jazz, avec une fébrilité qui n’empêche par une certaine quiétude de chacun des musiciens, le saxophone s’offrant une plage de douceur dans la mitraille de la batterie. Voici le point névralgique et foncièrement coltranien de ce live enregistré au ZDB de Lisbonne. Une musique qui atteint son point d’ébullition à force d’à-coups et d’insistance. Une musique qui ne confond pas la rudesse et la violence, pas plus que virtuosité et démonstration. Le propos de The Healing se révèle souvent beau et lumineux, à l’instar de ce « Release Is In The Mind » qui clôt ce disque avec beaucoup d’enthousiasme.

