Scènes

Catalytic Sound Festival… et de trois !

À Chicago, le batteur Chris Corsano est au cœur des festivités.


Damon Locks et Chris Corsano @ Virginia Saavedra

Le Catalytic Sound Festival est une affaire internationale qui, cette année, s’est déroulée en décembre dans plusieurs villes (Nijmegen, Amsterdam, New York, Washington, Asheville et Chicago). La 3e édition version Chicago a eu lieu du 8 au 10 décembre, les deux premiers soirs à Elastic et le dernier soir au Hungry Brain pour la première fois de son histoire.

La manifestation aura été à nouveau victime de quelques mauvaises surprises. Le guitariste de Boston Joe Morris doit annuler sa participation en raison de sérieux problèmes de plomberie à son domicile. Et, ironie du sort, la saxophoniste Sarah Clausen, qui avait dû l’an dernier remplacer au pied levé la pianiste Mabel Kwan, se trouve cette fois-ci dans l’impossibilité de se produire.

Mabel Kwan @ Jim Montes

Cette dernière ouvre les hostilités en compagnie du batteur Chris Corsano qui se voit confier un duo quotidien. Trois occasions de l’entendre avec des artistes d’horizons différents et de s’enthousiasmer. La pianiste vient du milieu de la musique classique et contemporaine. Cela se sent en particulier en début de performance – et lorsqu’ils boucleront la boucle en fin de concert – par son désir de ne pas s’éloigner de lignes mélodiques même lorsqu’elle place une main à l’intérieur du piano pour produire des effets. Le duo se distingue par sa finesse et sa subtilité, Corsano exploitant sa panoplie d’accessoires. Après cette phase initiale, Kwan et Corsano créent des textures à force de crissements et de frottements, la pianiste frappant ses cordes avec un chiffon, avant de faire une plongée dans le minimalisme. Ensuite, le batteur prend les devants pour accroître l’intensité, Kwan s’affairant à l’intérieur de son instrument. En dépit de la montée en puissance, force est de constater que leur jeu reste plus cérébral que viscéral.

Le lendemain, Chirs Corsano retrouve Damon Locks pour une expérience on ne peut plus différente, ce dernier se tenant derrière une table où s’accumule une grande variété d’effets électroniques, notamment des samplers. Avec Locks, le public a la garantie d’une ambiance de fête, même s’il n’hésite pas à formuler des commentaires à caractère politique ou social (« Everybody’s Got A Right To Live »). Dans les mains de Locks, les parties samplées deviennent des mantras auxquels, progressivement, ils superposent des sons. Pour mettre du piment, il joue les empêcheurs de tourner en rond avec des sirènes et des crashs déstabilisateurs ou d’autres télescopages. Corsano ne se laisse pas désarçonner. D’ailleurs, il semble que quoi qu’il fasse, il s’accommode des velléités de son partenaire d’un soir. Tribal, bruitiste ou lissé, il fournit constamment un fond sonore à Locks dont les samples vont du reggae à la musique concrète en passant par les climats de musique de films de science-fiction ou de David Lynch. Enfin, Locks propose du spectacle quand il danse au ralenti, effectuant des mouvements qui évoquent une séance de taïchi.

Joe McPhee et Chris Corsano @ Jim Montes

Le dernier soir, Corsano se trouve en territoire plus connu avec Joe McPhee au saxophone ténor – ils forment un duo en activité depuis une bonne douzaine d’années. À l’instar de Locks, McPhee aime introduire des aspects militants. Cela commence notamment avec la lecture d’un poème de Langston Hughes, « Birmingham Sunday », une réflexion sur l’attentat raciste du 15 septembre 1963 dont quatre jeunes filles noires ont été victimes. Le duo se lance ensuite dans une version déchirante de « Come Sunday » de Duke Ellington, une composition pour laquelle le soufflant éprouve une affection particulière. McPhee transmet magnifiquement la douleur qui l’imprègne. Corsano se tient tout d’abord en retrait, comme pour se recueillir, avant de faire gronder la colère. Après ce moment fort, McPhee offre une autre facette de sa personnalité avec quelques facéties. Il s’exprime en utilisant une forme de charabia ou déclare se sentir jeune à nouveau – et il est clair aujourd’hui qu’il s’est bien remis de ses récents pépins de santé.

Parmi les autres réussites, on citera l’ouverture à la ville de Détroit représentée par un quintet emmené par le batteur Ben Hall. Ken Vandermark, l’un des fondateurs du collectif Catalytic Sound, souhaitait reconnaître la contribution des musiciens de l’une des villes-clés du développement des musiques improvisées dans le Middle-West des États-Unis.

Lemuel Marc et Ben Hall @ Virginia Saavedra

Hall est entouré de Mike Khoury au violon, Lemuel Marc à la trompette, Kaleigh Wilder au saxophone baryton (et au chant) et le légendaire Jaribu Shahid à la contrebasse. Hall se tient devant une configuration originale avec une grosse caisse (posée à plat), une timbale et un énorme tambour. Le premier morceau repose sur un groove soutenu de Shahid et joue sur les contrastes, Marc privilégiant les techniques étendues et Khoury les deux pieds fermement enracinés dans le blues. La formation poursuit avec une improvisation où une trompette déchirante s’oppose à un saxophone vrombissant. Mais Ben Hall vole la vedette en opposant ses tambours sourds à ses cymbales cinglantes, sans parler de son idée la plus radicale : planter une tige de métal dans une cymbale et frotter la première pour produire un étonnant bourdonnement. Pour le final, le groupe est rejoint par le saxophoniste Dave Rempis au baryton, Wilder passant au balafon. Les sonorités africaines n’auraient pu mieux convenir au saxophoniste, lui qui a étudié au Ghana dans sa jeunesse.