Chronique

Roswell Rudd

Embrace

Roswell Rudd (tb), Fay Victor (voc), Lafayette Harris (p), Ken Filiano (b)

Label / Distribution : RareNoise Records

Alors qu’il vient de nous quitter, le tromboniste Roswell Rudd laisse une trace avec Embrace, enregistré en quartet pour le label Rare Noise. Davantage recueil de souvenirs que testament, l’album offre à Rudd l’occasion, en compagnie de la chanteuse Fay Victor, de revisiter quelques standards avec autant de gourmandise que de respect. Les huit titres, du traditionnel « House Of The Rising Sun » jusqu’au « Pannonica » de Monk, retracent la carrière et les choix du leader. Le trombone est omniprésent, époustouflant de technique mais jamais clinquant. « Something To Live For », de Strayhorn et Ellington, est l’occasion de se faire caressant, bien aidé en cela par une ligne rythmique sans batterie où le piano de Lafayette Harris est soyeux, la main gauche très légère laissant beaucoup de place à la basse impeccable de Ken Filiano. Une lecture d’apparence très conservatrice mais qui n’hésite pas à bousculer les lignes pour retrouver une certaine avant-garde.

Le jeu de Rudd avec la chanteuse, elle aussi impliquée dans des œuvres aux esthétiques très larges et qu’on peut notamment entendre dans un projet sur Herbie Nichols avec Michael Attias et Achim Kaufmann, joue sans cesse sur ce décalage. C’est même le centre de l’orgiaque « Good Bye Pork Pie Hat », où les deux voix se renvoient la balle sous l’arbitrage bienveillant de Filiano, décidé à laisser place au jeu et aux débordements, d’autant plus facilement que l’absence de batterie le laisse absolument libre. « Too Late Now » est même l’occasion pour lui de s’offrir une magnifique introduction à l’archet, soulignée là encore par l’élégance du piano. La suite est assez longue et pleine de circonvolutions où le jeu de coulisse est toujours juste, précis ; on pourrait dire clinique, s’il n’y avait pas cette chaleur alentour et une utilisation très à propos de la sourdine, dont il est objectivement l’un des maîtres.

Embrace ne restera sans doute pas parmi les joyaux de la discographie de Rudd, qui en compte de fameux. Bien sûr, ce n’est pas Schooldays en compagnie de Steve Lacy, même si le registre monkien y fait irrémédiablement songer. A posteriori, alors qu’on écoute ce disque devenu posthume, on a le sentiment que Rudd s’est dessiné un petit paradis fait de chansons qui l’ont accompagné et qu’il honore comme si c’était la dernière fois. Cela leur confère une dimension solennelle qui ajoute à l’émotion.