Chronique

Sacha Distel

Jazz 1955 - 1962

Label / Distribution : Frémeaux & Associés

Attention, nous sommes en présence d’un chef-d’œuvre discographique qui a marqué l’histoire du jazz français. Rendons-en grâces à Frémeaux & Associés. En l’espace de huit années, le jeune Sacha Distel va graver des disques que les Américains vont encenser. Élevé à Paris par un père russe et une mère pianiste d’origine turque de confession juive, il est très vite enclin à pratiquer le piano. Durant la seconde guerre mondiale, le jeune prodige est caché dans un collège à Laval avec treize autres enfants juifs pendant deux ans alors que sa mère est emprisonnée pour des raisons politiques. À la Libération, la vie reprend son cours et Sacha Distel va découvrir le jazz, étant aux premières loges puisque son oncle maternel n’est autre que Ray Ventura, connu pour son orchestre Les Collégiens dont le guitariste est un certain Henri Salvador.

La guitare et l’arrivée du bebop font irruption dans la vie de Sacha Distel. Il découvre Stan Getz et Jimmy Raney alors qu’il est à New-York pour perfectionner son anglais. Mais c’est en France que sa carrière va décoller et qu’il va enregistrer des disques en compagnie des musiciens français de renom des années cinquante, sans oublier de côtoyer la fine fleur des jazzmen internationaux de passage à Paris. Tout d’abord le saxophoniste britannique Don Rendel qui a accompagné la tournée de Billie Holiday en Grande-Bretagne en 1954 et qui enregistrera sous la direction d’Herbie Hancock la musique du film Blow Up de Michelangelo Antonioni. « Pot Luck » fait se succéder des solistes exceptionnels dont le jeune Sacha particulièrement à son aise. Aux côtés de Lionel Hampton, « Crazy rhythm » se pare de notes bleues ; le premier album qu’il enregistre en leader, Jazz d’aujourd’hui, offre une superbe interprétation de « Round About Midnight » qui va droit au cœur alors que « Scotch Bop », tiré du disque réalisé avec Bobby Jaspar, dévoile une généreuse construction harmonique.

Enclin au modernisme, sa participation au trio de Gérard Gustin au piano et Gilbert Gassin à la contrebasse démontre l’originalité d’une composition comme « Equation » qui fait écho au trio de Jimmy Giuffre avec Jim Hall et Ralph Peña. La rencontre avec John Lewis, alors au sommet de sa gloire, sublime « Afternoon In Paris » très cristallin, et « Bag’s Groove ». Bien avant la mode qui surviendra une quinzaine d’années après avec de nombreux guitaristes électriques qui confrontent leurs styles, l’enregistrement de 1956 réalisé en compagnie de Jean-Pierre Sasson n’a rien perdu de sa fraîcheur, le duo est ici stimulé par la rythmique composée de Benoît Quersin et Christian Garros. L’originalité de « Oh ! Quelle nuit - Lonesome Me » confirme l’osmose avec l’orchestre de Raymond Le Sénéchal à l’instar de l’hommage rendu à Django Reinhardt avec les orchestrations raffinées du big band de Claude Bolling qui permettent à Sacha Distel de s’envoler sur « Minor Swing » « Swing 41 », « Nuages - 1ère & 2ème partie », « Swing 39 », et « Daphné ». L’esprit de Django est sublimé.

Il est important de replacer ces enregistrements dans leur époque, à la fin des années cinquante. Sacha Distel est alors l’égal des guitaristes d’Outre-Atlantique, Tal Farlow, Barry Galbraith, Joe Pass et Barney Kessel. Il va également jouer avec rien de moins que Stéphane Grappelli, Sarah Vaughan, Bernard Vitet, Michel Portal. La suite, on la connaît : il va devenir un chanteur de charme, ornant les couvertures de Paris Match et Jours de France, promis au succès du monde de la variété. Dans les années soixante, Elek Bacsik et René Thomas vont dignement perpétuer l’histoire de la guitare jazz en Europe avant l’avènement de Jimi Hendrix qui bouleversera définitivement la pratique et les sonorités de l’instrument.

par Mario Borroni // Publié le 15 décembre 2024
P.-S. :

Sacha Distel (g), Jean-Pierre Sasson (g), Claude Civelli (as), Don Rendell (ts), Georges Grenu (ts), Jacques Hendricks (ts), Bobby Jaspar (ts, fl), Maurice Meunier (ts, cl), Gérard Badini (ts, cl), William Boucaya (bs, bcl), Pierre Gossez (bs), Dave Amram (cor), Benny Bailey (tp), Bernard Hulin (tp), Nat Adderley (tp), Jean Liesse (tp), Vincent Casino (tp), Ivan Jullien (tp), Billy Byers (tb), Raymond Katarzinsky (tb), Claude Gousset (tb), Maurice Vander (p), René Urtreger (p), Gérard Gustin (p), John Lewis (p), Raymond Le Sénéchal (p, org), Lionel Hampton (vib), Guy Pedersen (b), Pierre Michelot (b), Paul Rovère (b), Benoît Quersin (b), Gilbert Gassin (b), Percy Heath (b), Bob Quibel (b), Mac Kak (d), Christian Garros (d), Al Levitt (d), Kenny Clarke (d), Connie Kay (d), Roger Paraboschi (d), Jean-Louis Viale (d), Christian Chevallier (arr), Claude Bolling (dir orch)