Entretien

Samuel Blaser

Un incontournable européen

Samuel Blaser © Laurent Poiget

Samuel Blaser est un phénomène. Arrivé très jeune sur le devant de la scène, on l’a vite entendu avec de nombreux Américains, comme Paul Motian ou Russ Lossing. C’est pourtant avec Pierre Favre, dans un duo remarqué batterie/trombone, que le jeune Suisse a été repéré. Grand technicien de l’instrument où il brille par sa justesse et son timbre, il multiplie les projets référentiels au jazz américain tout en gardant comme boussole la musique écrite occidentale « classique » avec un penchant baroque cher à tout tromboniste. Avec Early in the Mornin’, son dernier disque en quartet où l’on retrouve Gerry Hemingway à la batterie, il revisite le blues en lui offrant de nombreuses perspectives et chemins de traverses. Rencontre avec un incontournable du jazz européen.

- Samuel, pouvez-vous vous présenter ?

Je suis un tromboniste et compositeur originaire de La Chaux-de-Fonds en Suisse. J’y ai étudié le trombone avant de m’envoler pour Paris puis ensuite New York avant de m’établir à Berlin en 2009. J’ai sorti une quinzaine d’albums en tant que leader et j’apparais sur une soixantaine d’albums en tant que sideman. Depuis janvier 2018, je suis papa d’un petit Oscar. 

Samuel Blaser

- Avec Early in the Mornin’, vous vous intéressez au blues. Après votre hommage à Jimmy Giuffre, quelle était la motivation ?

C’est une musique pour laquelle j’ai toujours éprouvé un intérêt. A la maison, j’ai eu la chance de grandir avec la musique de Ray Charles. Le blues reste une musique qui me touche profondément et j’ai d’ailleurs toujours l’impression de jouer super bluesy. Il était tout à fait naturel pour moi d’enregistrer un album qui s’inspire de cette musique.

- D’ailleurs, y a-t-il un lien logique entre les deux disques ?

Les deux albums rendent hommage à un style ou à un compositeur : Early in the Mornin’ au blues et Spring Rain à Jimmy Giuffre. La collection s’étend même à deux disques additionnels : Consort in Motion qui rend hommage à Monteverdi et A Mirror to Machaut qui s’inspire des musiques de Guillaume de Machaut. 

- Il n’y a quand même pas un désir de se situer ?

Pas forcément mais la thématique, qui donc connecte mes dernières parutions, me permet de me fixer des buts et me pousse à faire des recherches approfondies sur un sujet. Je connais bien évidemment la musique de Jelly Roll Morton, qui sera la prochaine étape, mais le prochain projet me poussera à aller encore plus loin : écouter des interviews, transcrire sa musique, lire des biographies et ainsi intégrer son monde musical. J’aime bien ce procédé qui me permet de continuer à apprendre et ainsi progresser.

- Après Giuffre sur Spring Rain et le blues sur Early in the Mornin’, Jelly Roll Morton sera donc le prochain sujet abordé avec cet orchestre ?

Oui, nous travaillons avec Robert Sadin sur l’idée d’enregistrer un album autour de la musique de Jelly Roll Morton. Nous en sommes au stade initial. Il y a encore du chemin à faire pour composer le programme, l’enregistrer et le réaliser.

j’ai toujours l’impression de jouer super bluesy.

- Pour évoquer le blues, vous utilisez de nombreux chants de travail, mais l’on sent également une réflexion autour de ce que représente cette musique, notamment vers des lectures plus contemporaines. Cette perspective était importante ?

Pour moi il est important de traiter le matériel pour le personnaliser et lui donner une couleur qui ressemble à ce qui m’inspire. Cela n’aurait sans doute aucun sens de ré-enregistrer les pièces telles qu’elles étaient. C’est la raison pour laquelle la majorité des chants sont transformés et adaptés à ma musique. 

- Le fait que le trombone soit proche de la voix rendait-il plus simple d’aller vers les chants collectifs ?

Je n’y avais honnêtement pas pensé mais pour moi ces chants me donnaient beaucoup de possibilités et de liberté pour les adapter à ma musique et à mon vocabulaire. Beaucoup de chants sur lesquels j’ai basé mon travail sont a capella. Cela me permettait d’imaginer d’autres musiques sans me faire influencer par un accompagnement pré-organisé. 

Samuel Blaser

- Vous êtes encore entouré pour ce disque de grands musiciens américains. Vous avez joué avec Motian. Qu’est-ce qui les attire dans votre musique ?

La majorité de ces collaborations se sont faites grâce à la précieuse aide de mon ami Robert Sadin, notamment pour Wallace Roney et Oliver Lake. C’est le contrebassiste Thomas Morgan qui m’avait présenté à Paul Motian. Avec Paul, j’ai pu développer une belle complicité, trop courte malheureusement. D’après Russ Lossing, Paul allait m’appeler pour rejoindre son groupe… il s’en est allé avant même que je puisse le rejoindre au Vanguard pour une semaine. Ça restera un rêve. Avec Oliver, nous sommes au début d’une collaboration.

- Qu’est-ce que Sadin apporte à vos productions ?

Robert est avant tout un conseiller. Depuis 2009, nous nous appelons très régulièrement pour discuter de musique, refaire le monde et développer des projets. Robert me soutient dans la confection, l’enregistrement, le mix et le mastering de mes albums. C’est aussi grâce à lui que j’ai pu enregistrer Early in the Mornin’ avec Oliver Lake et Wallace Roney.

- Motian, Cleaver, Hemingway, Favre… Vous avez un lien particulier avec les batteurs légendaires ? Y en a-t-il d’autres avec qui vous souhaiteriez jouer ?

En fait, je crois que j’ai un lien particulier avec l’instrument… peut-être parce que mon frère est aussi batteur et que nous avons étudié la musique pratiquement en même temps. La liste de batteurs avec qui je souhaiterais jouer est bien longue. Dernièrement j’ai eu l’opportunité de jouer avec Jeff Ballard dans le Quintet de Michel Portal et c’était une très belle surprise. J’ai aussi eu l’occasion de jouer quelques fois avec Daniel Humair. C’était un vrai plaisir. Billy Mintz est un musicien avec qui je voudrais développer des projets. 

- Comment avez-vous choisi le contrebassiste Masa Kamaguchi qui s’inscrit d’habitude dans des projets plus expérimentaux ?

Masa Kamaguchi peut jouer traditionnel autant que libre. Et c’est ça que j’aime bien chez lui. Dernièrement il s’est produit avec Sheila Jordan. Finalement j’essaie de m’entourer de musiciens capables de jouer plusieurs styles. C’est aussi un aspect que j’essaie de maîtriser !

- Il y a toujours une tangente dans votre musique vers la musique écrite occidentale. Qu’est-ce qui motive cet attachement ?

Cela doit sans doute venir de mon éducation musicale au Conservatoire. J’ai toujours conçu la musique de cette manière. 

Le Big Band, c’est aussi un peu mon école de jazz

- Quel est votre rapport au Third Stream ?

La première fois que j’ai entendu parler du Third Stream, c’était dans une chronique d’un journaliste qui décrivait ma musique avec cette terminologie. La définition de Third Stream correspond en effet à ce que je crée mais je ne me sens pas connecté à ce mouvement qui date des années 50. 

- Vous avez également un orchestre avec Marc Ducret, c’est une collaboration ancienne. Avez vous envie, un jour, de fusionner les deux entités ?

J’y ai déjà pensé à plusieurs reprises en imaginant éventuellement faire sonner Russ Lossing et Marc Ducret dans le même ensemble. Mais j’aime bien conserver les choses telles qu’elles sont. Cela rend les projets uniques. J’adore les projets qui se développent avec Marc. Je sens que nous sommes sur la même longueur d’ondes humainement et musicalement. Avec Pierre Favre, ce doit être l’une de mes plus anciennes collaborations et aussi l’une des plus fructueuses ! 

- Y-a-t-il une tentation du grand orchestre ?

Oui bien évidemment : cela fait partie du paysage musical même si j’ai une légère préférence pour les petites formations et la musique de chambre. Il y a deux ans, j’ai composé une pièce, « Nothing Twice », pour le Nouvel Ensemble Contemporain, Marc Ducret et moi même. C’était la première fois que j’écrivais pour un ensemble plus conséquent. On peut entendre cette pièce à l’aide de ce lien. Je me produis également régulièrement en soliste avec des big bands. 

Ces deux dernières années, j’ai beaucoup joué avec le Big Band de la Radio de Belgrade. Un album, Aquarelle, est sorti en début de cette année sur le label serbe PGB. La musique de cet album se compose de mes compositions, arrangées par deux Serbes et moi-même. C’est très intéressant d’avoir sa musique arrangée par d’autres musiciens. Il en sort d’autres vérités.

Le big band, c’est aussi un peu mon école de jazz. Pendant 10 ans, et depuis l’âge de 13 ans, je jouais chaque semaine dans un big band en Suisse. C’est là que j’ai pu souffler mes premiers solos, apprendre à phraser et jouer en section. C’est une musique que j’adore et que je n’ai malheureusement plus beaucoup l’occasion de jouer depuis que je me suis plutôt développé en tant que soliste.

- Quels sont les projets de Samuel Blaser ?

Avec le compositeur franco-argentin Oscar Strasnoy, nous allons composer un recueil de chants populaires pour la soprano Sarah Sun et le Kammerensemble Neue Musik Berlin. Le projet s’articulera autour d’une des pièces les plus emblématiques du répertoire du XX siècle : les Folk Songs du compositeur italien Luciano Berio. La première aura lieu en mai 2019. 

Samuel Blaser, Bruno Chevillon © Franpi Barriaux

- Comment allez-vous aborder Berio ?

Berio a composé une magnifique pièce pour le trombone qui s’appelle la Sequenza V, une pièce qui fait partie d’une série écrite pour instruments seuls. La Sequenza V, elle, s’inspire du célèbre clown suisse Grock et la reprise de sa fameuse réplique « Pourquoi » transposée dans cette pièce en « Why ». Un effet qui se réalise à perfection au trombone.

Tout comme la Sequenza V, Grock me fascine depuis tout petit. Il est aussi né pas très loin de chez moi, dans le Jura. J’ai toujours voulu maîtriser cette œuvre pour l’insérer dans mes programmes solo mais aussi pour développer mon vocabulaire et pousser les limites techniques de l’instrument. Elle est parfaite et contient beaucoup d’éléments que j’utilise énormément dans mes improvisations. J’ai pu la travailler avec Mike Svoboda notamment.

- D’autres projets à venir ?

Le Tampere Jazz Happening m’a demandé de faire un hommage au tromboniste et compositeur jamaïcain Don Drummond en novembre 2019. Je réunis pour cette occasion une belle équipe avec Soweto Kinch, Michael Blake, Alex Wilson, Alan Weekes, Ira Coleman et Kenrick Rowe. J’espère que nous aurons l’occasion de donner plus d’un concert. 

Sinon, je continue mes collaborations fructueuses avec Robert Sadin, Marc Ducret, Pierre Favre, Russ Lossing et Gerry Hemingway.