Chronique

Samuel Blaser Quartet

Spring Rain

Samuel Blaser (tb), Russ Lossing (p, cla), Drew Gress (b), Gerald Cleaver (dms)

Label / Distribution : Whirlwind

Samuel Blaser est un voyageur. Après avoir approché au plus près les rivages italiens de la musique ancienne à l’occasion de la dernière traversée de Paul Motian (Consort In Motion), après avoir franchi les Alpes à la recherche d’un reflet de Machaut et Dufay dans le pavillon de son trombone en compagnie de Gerry Hemingway, le voici qui s’en va survoler la moitié du globe pour gagner la côte Ouest des États-Unis, à la recherche des nombreuses traces laissées par Jimmy Giuffre dans la musique de son temps. À ses côtés cette fois-ci, le batteur Gerald Cleaver, qu’il côtoie depuis longtemps dans le quartet qu’il anime avec Marc Ducret. C’est d’ailleurs cette formation qui a situé ce tromboniste à peine trentenaire parmi les incontournables de la scène européenne. L’ampleur de sa discographie et de ses collaborations est impressionnante : elle va de Pierre Favre à Alban Darche en passant par une récente rencontre générationnelle avec Marcel et Solange

Le choix de l’hommage à Giuffre et au trio mythique qui l’unissait à Paul Bley et Steve Swallow peut faire l’objet d’un questionnement multiple. Il y a d’abord l’instrument et son timbre : pas l’ombre d’une clarinette sur Spring Rain. Puis ce quartet avec batterie alors que le trio s’illustrait justement par l’absence de celle-ci ; Cleaver, qui use à merveille de son registre très coloriste (« Counterparts »), retrouve ici son vieux complice Drew Gress pour une base rythmique symbiotique (particulièrement réussie sur « Missing Mark Suetterlyn ») ; le trombone va chercher dans les basses quelque substrat d’Albert Mangelsdorff - une filiation revendiquée.

Mais en se concentrant sur les disques du trio, Blaser salue surtout une certaine conception de la liberté. Il faut s’immerger dans le dialogue qui s’instaure entre lui et le pianiste Russ Lossing sur « Scootin’ About », une des trois reprises de Fusion, pour comprendre que le propos se situe aux confins du jazz et de la musique contemporaine. Cette improvisation très ouvragée et patinée par le temps n’est finalement pas si éloignée des prairies baroques précédemment foulées. Quelques signes en témoignent, notamment une architecture très horizontale des compositions, qui laissent une large place au contrepoint (« Umbra »).

C’est sans doute pour cela que le Suisse a enrôlé Robert Sadin à la direction artistique, comme sur Consort In Motion : même démarche consistant à livrer des reprises qui, apparemment distancées, dévoilent peu à peu le thème central (« Jesus Maria », de Carla Bley, repris sur Fusion), ponctuées de pièces écrites dans l’esprit de Giuffre et illuminées, on l’a vu, par son goût de la liberté. Celui-ci lui permet d’utiliser les ressources d’un instrument dont il maîtrise chaque sonorité (« Homage », remarquable solo au cœur de l’album). Des glissandi au growl, en passant par toute une science des effets d’embouchure, il ne s’agit jamais de vaine virtuosité. Lorsqu’ils s’échangent le thème de « The First Snow » comme s’il leur brûlait les doigts, Blaser et Lossing affirment une indépendance stylistique qui tutoie à la fois un free jazz farouche et des influences électriques - présentes depuis toujours chez le tromboniste. La pluie de printemps que propose ce quartet est une des plus rafraîchissantes du moment. L’intérêt, c’est qu’il n’y a pas besoin d’arc-en-ciel pour trouver le trésor. Il est dans la pochette.