Entretien

Samuel Blaser et le fétichisme des sons

Samuel Blaser s’exprime au sujet du récent album multimédia : 18 monologues élastiques

Samuel Blaser © Franpi Barriaux

Le « fétichisme des sons » dans un espace autrefois mité par la Stasi.
Quand les difficultés à sortir cet enregistrement de 2013 ont permis des développements successifs, originaux. Avec les encouragements de Daniel Humair.

Samuel Blaser, photo Laurent Poiget

- Tout d’abord, pourquoi sortir 1291 et les 18 monologues en même temps ?

Pour plusieurs raisons qui n’ont rien à voir avec l’artistique, tout d’abord. Pour des raisons de deadline. Le solo a été enregistré en 2013 et ça fait donc 7 ans que j’essaye de trouver la meilleure façon de le sortir. Il se trouve que je collabore étroitement avec Outhere depuis 2018 et que ce label est le partenaire idéal pour sortir un projet de ce genre. J’ai proposé d’enregistrer un album en trio avec Daniel Humair l’année passée, 1291. Nous l’avons enregistré en janvier 2020 à Paris. Nous avons tout simplement décidé de publier ces deux albums en même temps. Je ne pense pas que nous aurions pu les sortir simultanément si le solo avait été également édité sous forme physique. C’est la raison pour laquelle nous avons créé un micro-site : www.18monologueselastiques.com. De plus, ce sont deux projets très complémentaires.

- Pourquoi hésitiez-vous à sortir ces monologues ? Un format à parachever ? Un problème commercial ? D’autres raisons ?

Oui, pour ces raisons exactement. Nous aurions rêvé de le présenter à Manfred Eicher (fondateur du label ECM) parce que nous pensions que le concept/son aurait pu l’intéresser. Malheureusement nous n’avons pas trouvé le chemin pour le contacter. Ensuite le projet continuait de grandir : documentaire, peintures, poèmes, sans que nous sachions vraiment sous quel format nous pourrions l’éditer. Puis des questions de budget se sont posées. Et beaucoup de propositions de labels et de graphistes qui ne correspondaient finalement pas au projet. La question commerciale se posait également, bien évidemment.

- Juste un point sur l’autre album. Pour 1291, quatre de vos pistes sont liées à Kid Ory. Est-ce une manière de dire que le trombone a connu très tôt une sorte d’émancipation, partielle, vis à vis de la mélodie au profit des textures sonores, dans un « fétichisme des sons » ? Une manière aussi de concilier tradition et extensions actuelles du vocabulaire des instruments ?

Il me semble plutôt que ce fétichisme des sons et l’extension du vocabulaire sonore sont venus plus tard dans l’histoire du trombone. Pour moi jouer ce répertoire (pas tout entier lié à Kid Ory mais au New Orleans en général) c’est surtout se rappeler de l’historique, d’où vient l’instrument, et qu’il est tout à fait possible de jouer du trombone en le faisant justement sonner comme un trombone et non pas comme un autre instrument. J’aurais tendance à vouloir mettre en valeur ce qui rend vraiment le trombone loufoque et j’attache beaucoup d’importance à l’émission du timbre/son plutôt qu’à la vélocité. On explore une autre facette de la virtuosité. Jouer ce répertoire comme à l’époque n’aurait pas beaucoup de sens à mes yeux. Je préfère écouter les versions originales.

Samuel Blaser & Sylvain Bardiau

Ce qui est intéressant, c’est de mélanger cette tradition avec du matériel plus moderne. On personnalise ce répertoire de cette façon. C’est plus crunchy, non ?
Il me semble que ce mélange de traditions est également un concept utilisé par bassdrumbone (Mark Helias, Gerry Hemingway, Ray Anderson) et par le batteur Matt Wilson

- Les 18 monologues sont l’occasion d’explorer les sons, leur texture, leur projection. Une façon aussi de faire « jouer » l’espace. En cela, c’est assez proche de certains aspects de la musique improvisée. Avez-vous aussi un intérêt pour ce courant musical ? Avez-vous l’intention de renouveler ce type de voyage musical qui vous a fait visiblement plaisir ? Faudrait-il attendre encore 7 ans ?

Oui, j’aime bien la musique improvisée. Cela dit je crois préférer la jouer que de l’écouter.
Les pièces sur l’album solo sont parfois improvisées mais nous avons tellement travaillé l’espace et l’acoustique pour chaque morceau qu’à force ces pièces improvisées sont finalement plus “composées” qu’improvisées

Pas de plan pour renouveler ce genre d’expérience pour le moment. J’ai des idées mais surtout d’autres projets en tête pour ces prochaines années.
Parfois il faut 7 ans pour qu’un album sorte. Parfois 7 albums sortent la même année (c’est mon cas pour 2020).

Samuel Blaser et ses sept albums 2020

- Raccourci malicieux ! Parmi les 18 pages de l’album dessins-poèmes-musiques, lequel choisiriez-vous pour illustrer cet entretien ?

J’adore “rotor bursts”. Je trouve que cette pièce illustre bien l’élasticité autant dans la musique, le dessin ou le poème

par Guy Sitruk // Publié le 6 septembre 2020
P.-S. :

Le site et la musique forment une œuvre à multiples facettes, originale.

Petite précision, lorsque l’album est proposé en téléchargement en version CD, il s’agit de la qualité sonore, pas du support.
Le film
Le livret (18 dessins-poèmes-solos)