Uwe Oberg
Twice, at Least
Uwe Oberg (p)
Uwe Oberg explore. Il est de ces musiciens qui remettent l’ouvrage sur le métier. Ces petits chimistes qui dissèquent des standards non pour refaire leurs gammes ou pour se souvenir de quelques hommages, mais pour essayer d’en trouver les mécanismes. On l’avait déjà vu dans Work, son précédent solo, où il reprenait notamment « Pannonica ». Sur Twice, at Least, paru chez Leo Records et enregistré huit ans après, il y a toujours le titre de Thelonious Monk. Il est étendu, étiré, perdu dans les limbes et la pédale d’écho, puis le thème apparaît peu à peu comme s’il perçait un épais brouillard. Joué simplement, presque à nu, il révèle une passion terrible de l’Allemand pour la grammaire monkienne, qu’on retrouve également sur l’intense « Twiyed Place », une sorte de « Played Twice » remonté à l’envers, comme d’autres le font pour observer le fonctionnement des appareils manufacturés.
Twice, at Least est pour Oberg un disque-bilan de ses rencontres (et bien sûr, un clin d’œil supplémentaire à « Played Twice »), de ses propres compositions, de ses amours musicales. Il y a par exemple le magnifique « Chant II/Kelvin », dédié à son fils et qui resurgit dans chacun de ses disques solistes. Plus loin, on retrouve « Touching », le beau standard d’Annette Peacock qu’il a récemment joué en trio avec Eric Plandé. En solo, il y instille un climat plus étrange et instable, pinçant les cordes de son piano pour y ajouter une dimension intime, voire sensuelle, qui sied à ravir à ce morceau.
Son récent duo avec Silke Eberhard avait souligné un attrait pour la musique de Carla Bley ; comme pour pour Turns, « King Korn » est ici inventorié en profondeur, tout en conservant une forme de pudeur et de respect. La main gauche est ferme, anguleuse, et laisse la droite baguenauder en toute liberté. Mais comme de coutume avec Oberg, on en revient à Steve Lacy, sa grande affaire. Au centre de l’album, ruisselant des rythmiques étouffées du piano préparé, surgit « Blues », interprétation limpide dont les accords martelés engrangent d’autant plus de puissance qu’ils sont le fruit d’une construction méticuleuse, voire opiniâtre, que la complexité n’effraie jamais. Un solo d’une grande élégance de la part d’un pianiste qui s’impose tel un improvisateur incontournable dans le paysage européen.