Scènes

Sweet Amina Chicago

Compte rendu du 40e festival de jazz de Chicago


Amina Claudine Myers © Michael Jackson

Le festival de Chicago est un des plus grandes messes du jazz gratuites aux États-Unis. Pour cette raison, et du fait que la programmation soit assurée par un comité, ce qui oblige à des compromis ou marchandages, l’événement brasse large. De Ramsey Lewis à Matthew Shipp, en passant par Myra Melford et Kenny Barron, pour ne nommer que les pianistes. Dans l’ensemble, on aurait pu quand même espérer mieux pour une 40e édition anniversaire qui a connu son lot de déceptions et de surprises entre le 24 août et le 2 septembre.

Au rang des déceptions, le jeune batteur de Chicago Quin Kirchner qui avait pourtant impressionné en début d’année avec la sortie de son excellent premier album, The Other Side of Time (Astral Spirits). Il semble manquer de l’élan à ce quintette qui donne parfois l’impression de s’assoupir. « Sahara », son hommage à Phil Cohran, l’un des fondateurs de l’Association for the Advancement of Creative Musicians (AACM), tombe plutôt à plat et sa version molle du « Self-Portrait in Three Colors » de Charles Mingus n’insuffle pas plus d’enthousiasme.

Ivo Perellman © Michael Jackson

Pour remonter le quotient satisfaction chez les musiciens de Chicago, le sax alto Greg Ward et son projet 10 Tongues, inspiré de The Black Saint and the Sinner Lady du même Mingus, propose un programme solide, équilibré et intelligent. Les dix musiciens naviguent sur les partitions complexes où les couches sonores se superposent. Peu de musiciens ont su si bien s’imprégner de l’esprit de Mingus, même si Ward est moins turbulent. Les compositions visent principalement à privilégier le travail de groupe, ce qui n’empêche nullement certaines individualités de briller. Le contrebassiste Jason Roebke ouvre « Dialogue of the Black Saint » avec un solo ponctué de coups stridents. Keefe Jackson au sax baryton se montre des plus agiles sur « Grit ». Le tromboniste Norman Palm fait preuve d’un classicisme efficace (« With All Your Sorrow, Sing a Song of Jubilance ») tandis que le trompettiste Russ Johnson se permet des figures alambiquées (« Gather Round, The Revolution Is At Hand »).

Parmi les bonnes surprises, le duo associant Matthew Shipp au saxophoniste brésilien Ivo Perelman qui n’avait pas mis les pieds à Chicago depuis des lustres. À la dernière minute, nous avons droit en fait à un quartette avec William Parker à la contrebasse et un revenant à la batterie, Bobby Kapp. Perelman est fidèle à son image avec un jeu sans concession émaillé de plaintes et de cris. De son côté, Shipp laisse suinter ses influences venues du classique. Mais c’est la performance de Kapp qui illumine ce set avec une formidable joie de vivre. Le groupe conclut en prenant le public à contre-pied. Tout le monde croit à une fin en apothéose, et c’est finalement un atterrissage en douceur.

Amina Claudine Myers © Michael Jackson

Mais on se souviendra surtout de ce festival pour les deux prestations de la pianiste/organiste Amina Claudine Myers. Ce sera tout d’abord en introduction à l’hommage (le festival de Chicago raffole des hommages) rendu au pianiste disparu Muhal Richard Abrams, un des autres fondateurs de l’AACM. Seule au piano, elle improvise et passe allègrement du lyrisme au drame. Elle termine son mini-récital touchant en puisant dans les racines du gospel. Le lendemain, elle fait feu de tout bois avec son trio qui comprend le guitariste Jerome Harris et le batteur Reggie Nicholson. Elle débute avec trois morceaux au piano, autant d’évocations émouvantes de la condition et souffrance humaine. Sa complicité avec Harris est étonnante. C’est cependant à l’orgue Hammond qu’elle montre l’étendue de son talent. Elle débute dans la grande tradition de l’instrument, dans la toute droite lignée de Jimmy Smith, avec un Nicholson que l’on aura rarement entendu swinguer avec autant d’allant. Elle poursuit avec une nouvelle incursion dans le monde du gospel, aidée par le travail d’une grande subtilité de Harris, avant de plonger dans le blues où le guitariste, encore lui, prend de grandes libertés pour un choc quasi frontal. Elle conclut son éblouissant tour d’horizon en mélangeant adroitement soul et influences africaines. Un constat s’impose : Myers est une grande artiste encore trop méconnue.