Portrait

Natsuki Tamura retourne en enfance

Le trompettiste japonais fouille dans sa mémoire pour son nouvel album en solitaire.


Natsuki Tamura @ Bryan Murray

Plus connu comme étant l’époux de la pianiste Satoko Fujii, Natsuki Tamura reste un musicien hors pair comme en témoignent son travail en solo, ses contributions au quatuor franco-japonais Kaze, son duo avec la joueuse de biwa Yoshino ou encore son groupe Gato Libre qui puise dans les traditions folkloriques européennes.

Il n’est pourtant pas jaloux de la plus grande attention réservée à la musique de sa femme. «  Je suis parfaitement content de rester dans l’ombre et de m’effacer derrière elle », affirme-t-il.

Natsuki Tamura @ Bryan Murray

Pour fêter son soixante-dixième anniversaire, Tamura nous livre un enregistrement à la fois profond et espiègle, Koki Solo (Libra). « Je pense que sans la pandémie et le confinement, cet album n’aurait jamais vu le jour », avoue-t-il. Durant cette relative période d’inactivité, le trompettiste songe à la trajectoire suivie par sa carrière et notamment à ses débuts musicaux. « Au lycée, j’ai dû apprendre à jouer au piano une sonate de je ne sais plus qui, car il s’agissait d’un exercice obligatoire pour entrer au conservatoire  », explique-t-il. Il se remémore également les moments passés derrière une batterie. Tamura s’y met lorsqu’il joue dans un club de Jiyugaoka, un quartier du sud-ouest de Tokyo, et doit remplacer durant le dernier set le batteur qui a peur de rater le dernier métro.

De ses ruminations naît l’idée d’un album solo avec des morceaux au piano et aux percussions, en sus de la trompette. L’appartement du couple ne pouvant accueillir une batterie - une pièce insonorisée est déjà occupée par le piano de sa compagne -, il doit trouver une alternative et jette son dévolu sur des ustensiles de cuisine dont un wok, des casseroles et une passoire. Ceci ne va pas sans créer des situations insolites. « Je veux commencer à préparer le dîner lorsque je m’aperçois que la casserole que je veux utiliser a disparu  », explique Fujii dans un fou rire.

je me mets à chanter lorsque je me sens fatigué


Koki Solo propose un programme bien équilibré d’improvisations qui alternent judicieusement les différents instruments. À la trompette, Tamura peut évoquer un bourdon ou une corne de brume, se vautrer dans la flatulence ou des gargouillis, sombrer dans la mélancolie ou dénicher de délicieuses mélodies. « À l’exception d’un morceau, tout a été enregistré en une seule prise, affirme le trompettiste. Je me suis laissé guider par l’inspiration du moment sans aucune idée prédéterminée. » À ce titre, il est étonnant qu’une pièce telle que « Kawau » soit aussi bien structurée.

Au piano, il privilégie la dissonance et organise patiemment ses idées. Sur ces « percussions », il est souvent en mode exploratoire, mais il sait également les exploiter pour accompagner son chant. En effet, quand il ne souffle pas dans son instrument de prédilection, Tamura finit toujours pas se lancer dans des incantations. « Ces derniers temps, la trompette étant un instrument exigeant, je me mets à chanter lorsque je me sens fatigué, dit-il. Cela peut ressembler à des mots que j’invente, mais je suis en fait à la recherche de sons. » Son humour pince-sans-rire qui est souvent latent prend alors toute sa mesure.

Les résultats ont convaincu Tamura qu’il ne pouvait s’arrêter en si bon chemin. Il est déjà au travail sur un autre album solo avec la même instrumentation. « La musique est très différente, précise-t-il. Cette fois-ci, j’utilise des overdubs et je fais du copier-coller en superposant des pistes. »

par Alain Drouot // Publié le 21 novembre 2021
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