Chronique

Santacruz, Wodrascka, Deschepper, Cappozzo

Récifs

Bernard Santacruz, cb ; Christine Wodrascka, p ; Philippe Deschepper, g ; Jean Luc Cappozzo, tp, bugle

Label / Distribution : Ajmi Series

Récifs est une aventure minérale. Une croûte terrestre d’apparence amorphe où l’œil du géographe, le marteau du géologue repèrent et isolent des formations rocheuses remarquables de taille et d’aspect différents. Le parallèle est évident avec ce magma qu’est la captation d’une improvisation collective, et sa ré-élaboration en studio visant à extraire des formes, des cristaux, des blocs singuliers nés de l’aléatoire et des lois de la physique. Nécessité de l’expression et de la technique, hasard de la rencontre des sons. Dans une telle logique, les titres donnés aux différents morceaux – le mot est, ici, plus que jamais pertinent – sont le dernier indice qui permet d’approcher la musique telle que l’entendent les musiciens.

Deux pièces de plus de dix minutes évoquent des paysages : « Un défilé bleu » et « Roc et sable » sont des extraits longs, des rocs imposants où la masterisation met en scène les reliefs : effets de zoom sur l’un ou l’autre des instrumentistes quand il « prend la main », jeux d’ombres et de lumière découpant un bloc (une envolée de Cappozzo, une rafale de Wodrascka, un claquement de cordes sur la touche de Santacruz, l’esquisse d’un riff de Deschepper), estompent un arrière-plan, accentuent une anfractuosité du terrain.

Encadrant ces deux longues pièces, une série de spécimens minéralogiques de tailles différentes : un minuscule « Aérolithe » chargé de guitare saturée vous tombe dessus en 1’02, une avalanche de « Lapiaz » déferle en 1’23, mais vous prenez 3’22 pour découvrir des « Solitaires » dans leur gangue de contrebasse et l’aurore, sans le moindre doute boréale (« Aurora ») déploie, fugace, en 2’21, ses voiles de piano ondulant sur des nappes de cordes irisées et un rien distordues.

Astucieux ou érudits, les titres parlent, certes, mais jouent aussi à poser des « colles »… Savez-vous ce qu’est un « Morion » ? Et dans cette « Célestine » de la plage 10, avez-vous deviné une pierre d’un bleu d’azur transparent, cachée au cœur d’une géode ? Ce jeu, vous le retrouvez aussi au fil de la musique : allusions brèves, citations tronquées, fausses pistes, polysémies sonores et queues de poisson… Mais nul besoin de jouer les détectives pour apprécier l’album : avant toute chose, il s’agit de musique, de musique libre. Et de gemmes. Comme ce mot sonne bien…