Chronique

Baker / Santacruz / Silvant

On How Many Surprising Things Did Not This Single Crime Depend ?

Jim Baker (keyb), Bernard Santacruz (b), Samuel Silvant (dms)

Label / Distribution : Juju Works

L’indignation croît lorsque l’on met, dans la magie, le pouvoir de détruire la religion. Ce n’est pas nous qui l’affirmons, c’est Montesquieu, dans l’Esprit des Lois, en préambule d’une phrase à la construction étrange, tout en points-virgules : « De combien de choses prodigieuses ce crime ne dépendoit-il pas ? Qu’il ne soit pas rare qu’il y ait des révélations ; que l’évêque en ait eu une ; qu’elle fût véritable ; qu’il y eût eu un miracle ; que ce miracle eût cessé ; qu’il y eût de la magie ; que la magie pût renverser la religion ; que ce particulier fût magicien ; qu’il eût fait enfin cet acte de magie ». Vous avez là le titre en entier et la liste complète des morceaux de cette rencontre inédite entre trois musiciens passés récemment dans les orchestres bâtis par Across The Bridges, fabrique de dialogues transatlantiques, le pianiste Jim Baker, que l’on a souvent entendu avec Christoph Erb, faisant office de pivot américain, très en verve sur « Que ce miracle eût cessé » où son piano au toucher subtil se fait guider par le pizzicato opiniâtre de Bernard Santacruz.

Avec le contrebassiste que l’on avait tant aimé dans Canto de Multitudes ou aux côtés de Joëlle Léandre dans Sonic Communion, on a la certitude que cette musique, enregistrée en 2015, conserve une grande élégance ajoutée à un goût renouvelé pour l’essentiel, une simplicité qui donne aux tentations lyriques de Baker une dimension plus grande, un relief supplémentaire (« Qu’elle fût véritable »). La présence du batteur Samuel Silvant, qui côtoie par ailleurs Santacruz dans son quartet, est même la garantie d’une solidité à toute épreuve, même dans « Que l’évêque en ait eu une », où Baker va chercher dans son clavier ARP 2600 des sons plus abstraits qui mettent en valeur la base rythmique dans toute sa densité.

Figure discrète des musiques créatives, Samuel Silvant, que l’on avait pu entendre il y a longtemps avec Guillaume Séguron, propose sur son label Juju Works un beau trio qui se range dans une esthétique évoquant à la fois Paul Motian et Bill Evans - notamment concentrés dans la reprise de « [Solar] », thème de Miles Davis familier des deux musiciens. La polyvalence d’un musicien comme Jim Baker fait le reste : ce trio est un modèle d’équilibre ; lorsqu’on se range sous le panache de Montesquieu, c’est la moindre des choses.