Chronique

Satoko Fujii Tokyo Trio

Moon on The Lake

Satoko Fujii (p), Takashi Sugawa (b, cello), Ittetsu Takemura (dms)

Label / Distribution : Libra Records

Toujours joueuse et avide de rencontres, la pianiste Satoko Fujii, qui avait répondu à nos questions il y a quelques mois, revient sur son label Libra Records avec une formation strictement nipponne. En trio, Moon on the Lake réunit la pianiste avec deux Tokyoïtes encore peu connus en Europe. Si le contrebassiste (qu’on retrouve ici également au violoncelle) Takashi Sugawa a une discographie locale assez imposante, ce n’est pas forcément le cas du batteur Ittetsu Takemura, pourtant impressionnant sur le très contemplatif « Wait For the Moon to Rise », tout en finesse. Pourtant, dès l’entrée du morceau bâti en un subtil dispositif de tension, le piano cherche dans ses basses tout ce qu’il faut de puissance. Les vagues sont fortes, puis l’eau s’irise, s’adoucit dans un romantisme au ton grave que les feulements des cymbales caressées rendent intranquille.

Le Tokyo Trio est un fort beau moteur pour l’imagination. À l’archet, et notamment lorsqu’il est au violoncelle, Sugawa offre à Fujii une distance, une profondeur nécessaires pour exprimer toutes sortes d’élans poétiques que la musicienne saisit au vol en plongeant dans les tréfonds de son piano. C’est exactement ce qu’on entend dans « Moon on the Lake », après que Takemura a donné à sa batterie des allures de biotope au fourmillement microscopique, avant que le piano ne distille quelques notes comme une rosée erratique doublée par un pizzicato léger. Une peinture sonore, à touches légères, qui sait faire parler la poudre quand il le faut. Le morceau-titre est d’une douceur sans pareille, pourtant la batterie gronde au lointain, vite rejointe par une main droite de plus en plus conquérante. Le façonnage du son est le mot d’ordre ici, il habite littéralement la grande cohésion entre les musiciens.

Car il ne faut pas penser qu’ici, tout n’est que calme et volupté. « Aspiration », long morceau central, est une illustration nerveuse d’une musique où Satoko Fujii est un fabuleux régulateur. Les basses du clavier sont abyssales, tortueuses, pleines d’écho ou balayées par une soudaine griffure des cordes du piano auquel répond un violoncelle toujours sur une crête abrupte, proche de la dissonance. Ailleurs, sur « Hansho », éloge de la vitesse sans volonté performative, c’est Takemura qui brise la parole collective en une brusque montée de sève, pendant que Sugawa, à la contrebasse, choisit un jeu plus anguleux. Orchestre de l’instant, le Tokyo Trio de Satoko Fujii est un générateur d’images et de tableaux oniriques de belle facture. Un agréable moment.

par Franpi Barriaux // Publié le 12 décembre 2021
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