Chronique

Futari

Beyond

Satoko Fujii (p), Taiko Saito (vib)

Label / Distribution : Libra Records

Lorsqu’on connaît les remarquables improvisatrices que sont Satoko Fujii et la vibraphoniste Taiko Saito, leurs univers très forts et leur sensibilité, il y avait de quoi ressentir une pointe d’excitation à l’annonce de Futari [1], duo de musiciennes nipponnes, alliance de claviers et combinaison de bien des éléments. Le vent, pour la pianiste, qui le maîtrise comme personne dans Kaze où elle peut déchaîner la tempête ou souffler une moindre brise. L’eau pour sa camarade qui sait aller de la goutte à l’ondée avec une sensibilité de chaque instant, comme on le constate dans « Mobius Loop » aux franges du silence, alors que les lames de son instrument sont d’abord de minuscules ondes qui troublent un piano impressionniste avant de grossir comme un torrent sans perdre de sa fluidité, domptant les basses tortueuses du piano.

La fusion entre les deux univers est enivrante, et l’alchimie qui change l’eau et l’air en feu n’est pas sans étourdir : il faut peu de notes, comme le définit « Molecular », pour que la magie opère. Quelques perles de vibraphone qui baignent les notes étouffées d’un piano préparé. Un infiniment petit qui se révèle d’une grande richesse, qui fait naître un dialogue entre des artistes dont on devine la grande complicité. Satoko Fujii est coutumière de ces relations duales, notamment avec le trompettiste Natsuki Tamura, ou avec Joe Fonda il y a peu. Mais avec le vibraphone, il y a comme une symétrie qui se forge, qui peut se jouer de masques, à l’instar de l’incessant dialogue qu’on découvre dans « Prolifération ». Les claviers mutent à force d’échanger. Ils s’ouvrent comme des fleurs fugaces, sensibles, fragiles (« Todokanai Tegami »), avec une poésie qui nous bouscule littéralement.

On connaît moins, sans doute, Taiko Saito, et il faut vite se rattraper. La vibraphoniste, installée désormais en Allemagne est comme son aînée à la confluence de bien des styles. Elle est coutumière des duos avec piano, comme on pourra l’entendre avec Koko, son duo avec Thomas Meinhold [2], mais elle a aussi une longue histoire avec la musique contemporaine, ce qu’on découvrira avec le Berlin Mallet Group et David Friedman, dont elle a récemment enregistré la pièce Sogni d’Oro. Avec Fujii, elle développe un ton singulier, assez volatile. C’est tout le sujet de « Beyond » qui donne son nom à l’album. Une atmosphère impalpable mais sensible, qui pourrait paraître paisible mais joue toujours sur le fil, prêt à s’affoler, à revêtir d’autres atours plus sombres. Une expectative que l’on retrouve également dans un second album, disponible sur Bandcamp et consacré à un live à la Guggenheim House en 2019. On y retrouve quelques titres de l’album sorti chez Libbra (« Mizube » notamment), mais dans une version plus urgente, sans rien perdre pourtant de sa délicatesse. Beyond est une œuvre brillante et sans filet, comme Satoko Fujii sait si souvent nous en proposer.

par Franpi Barriaux // Publié le 28 mars 2021
P.-S. :

[1« Deux personnes » en japonais, on ne peut faire plus descriptif…

[2Un disque du même nom sorti chez Pirouet Records, NDLR.