Le duo implique complicité, écoute et confiance entre les protagonistes. Soit. Une fois ce lieu commun énoncé, on peut également dresser la liste des éléments factuels et musicaux qui corroborent cette évidence. Allons à l’essentiel.
Matthieu Donarier et Sébastien Boisseau, deux piliers fondateurs du collectif et label Yolk, animent ce duo depuis plusieurs années, exclusivement sur scène. Wood (« bois » en anglais), fait référence aux types organologiques des instruments ; la contrebasse, et les saxophones et clarinettes, qui appartiennent à la « famille des bois ». L’analogie est poétique et trouve son illustration dans le coffret en carton épais (marque de fabrique du label Yolk), numéroté à la main, qui contient une vraie rondelle de tronc d’arbre, qui sert aussi de visuel. Les titres des morceaux évoquent pour certains quelques arbres mythiques (« Yggdrasil » et « Old Tjikko »).
La genèse même de ce disque renvoie à la lente accumulation d’écorces superposées au fil des ans qui finit par former le tronc. En effet, les deux musiciens ont choisi d’y réunir des extraits de concerts sélectionnés parmi les dizaines d’heures d’enregistrement accumulées - un travail de dendrochronologie qui rassemble et accole des pistes éparses, cernes du tronc musical qu’est ce duo. L’essentiel provient de concerts donnés au festival Europa Jazz en 2008, dans le cadre de l’émission « Jazz sur le vif » (Radio France) en janvier 2012, et à la Fonderie (Le Mans) en juillet 2012. Les pistes se succédant en alternance, ce n’est pas l’ordre chronologique qui est recherché mais la cohérence musicale. Sur les douze, deux seulement sont des reprises (de Joachim Kühn et Daniel Humair). Les dix autres, signées Donarier ou Boisseau, sont tantôt écrites, tantôt improvisées, et le fait qu’elles soient toutes jouées en direct donne une grande homogénéité à l’ensemble. La qualité de l’enregistrement et du mixage joue beaucoup dans cette impression de proximité avec les musiciens.
Une réussite. Le disque s’écoute comme une seule et longue suite formant un arc musical tendu. Une longue histoire d’une grande beauté. Avec une assurance décontractée, dans un style très tonal, presque classique, les pièces s’enchaînent de manière fluide - peu de ruptures, peu de cris, le discours est suave sans être poli, les voix se répondent avec honnêteté, sans effets de style superflus. Dès l’ouverture, avec « Grounds », les deux musiciens jouent en contrepoint. Le son très rond du contrebassiste, ancré dans le registre grave, fait office de base harmonique autant que rythmique. C’est en fonction et à partir de cette ligne structurée et linéaire, la plupart du temps, que le saxophoniste et clarinettiste développe un jeu léger, mélodique et lyrique. A chaque instant les deux propos fusionnent, telles les deux chaînes complémentaires de la molécule d’ADN. Parfois (« L’emplacement exact est tenu secret »), la mélodie s’efface au profit d’une respiration où l’on entend, justement, les instruments haleter, souffle et frottements ; alors le timbre de leurs vibrations devient musique. Donarier influe sur les climats avec quatre instruments différents : saxophone soprano ou clarinette pour des lignes aiguës et claires, coupantes ou plaintives - des lignes boisées en suspension, qui se jouent du silence (« Lony Ay Utca »), saxophone ténor ou clarinette basse pour les propos plus sombres, les jeux d’anches, les volutes corpulentes d’« Aquatism », par exemple.
Et toujours la pulsation sereine et arrondie de la contrebasse, aussi puissante qu’un chêne, mais souple comme un roseau.