Chronique

Sébastien Texier & Christophe Marguet

For Travellers Only

François Thuillier (tuba), Christophe Marguet (d), Sébastien Texier (as, cl), Manu Codjia (g)

Label / Distribution : Cristal Records

Il existe des albums qui sont de véritables perles, de celles qui se savourent en tout lieu et toute heure et qui, dès les premières mesures, laissent entendre qu’on sera esbaudi par tant de grâce. For Travellers Only est de cette engeance. 10 pistes et 51 minutes, le format est commun. En revanche, on se délecte d’un bout à l’autre de cette poésie qui met en exergue la sensibilité, la brutalité, l’envol.

Aux manettes, deux musiciens qui travaillent ensemble depuis des lustres ou presque. Sébastien Texier et Christophe Marguet, qui signent chacun cinq des dix compositions, œuvrent en effet ensemble depuis plus de vingt ans. Ils nous avaient habitués à de superbes moments et, s’il ne fallait en citer que quelques-uns, on s’arrêterait volontiers sur Buscando la luz et Itrane.

« Trane » justement. Le jeu de Sébastien Texier se situe dans la filiation coltranienne. Certes, le mot a été galvaudé et le patronage du sax américain est tel que vraisemblablement les trois quarts des musiciens de ce monde – car il déteint bien au-delà des seuls saxophonistes – s’en réfèrent à lui. Mais chez Texier – pourtant à l’alto – il y a des phrases, une fibre, une espèce d’émotivité qui le place dans cette veine sans en faire un simple copieur, même brillant. Il serait donc réducteur de ne retenir chez lui que son ascendance avec l’auteur de A Love Supreme. Sur For Travellers Only, Sébastien Texier signe notamment « Cinecitta », une extraordinaire composition en six temps, qu’ouvre François Thuiller au tuba. Sur une ligne de basse faussement bonhomme et qui invite, mine de rien si l’on peut dire, à se dandiner, le clarinettiste développe, après une très belle mélodie à l’italienne, un chorus qui n’en finit pas de monter en puissance. Mais si ce n’était que ça : quand le clarinettiste passe la main, c’est Manu Codjia qui prend le relais avec un solo tout aussi ébouriffant. Tout ce beau monde se retrouve pour clore le morceau sur le thème après plus de six minutes d’extase. Est-il nécessaire de préciser qu’on en reste carrément baba ?

Cette pièce est loin d’être isolée. Tout est fait de ce superbe bois. Pour preuve, quelques pistes plus loin, on trouve « Hurry Up ». Drôle de morceau sur lequel file à toute allure un chorus, fort inspiré, de François Thuiller. On dit souvent que le tuba barrit et on reprendra très volontiers ici cette comparaison pachydermique, mais il ne faudrait pas se méprendre. Point de balourdise. Au contraire, cet éléphant-ci est pétillant et on se délecte du spectacle, à la fois plein de rondeurs et de muscles, de l’agile quadrupède.

Quelques moments sont plus poignants, à l’image de « Migrants » – bouleversante composition. Mais là encore, au-delà ou en-deçà de cette connotation politique qui vient à point nommé, c’est toute une poésie qui s’expose ici. On ne sera guère étonné puisque, pour Christophe Marguet, elle constitue sa seule arme de résistance.

L’album se termine sur « Eddie H », morceau empli de bribes derrière lesquelles pointe un rock nerveux et musculeux. Mais, même lorsqu’elle est d’un acier bien trempé, la poésie que propose ce quartet d’esthètes relève en fait de l’extase et il y a fort à parier que les plus casaniers d’entre nous se transforment en grands voyageurs.