Chronique

Christophe Wallemme

Ôm Project

Emile Parisien (ts, ss), Manu Codjia (g), Diederik Wissels (p, Rhodes, electronics), Christophe Walemme (b, elb), Pierre Alain Tocanier (dms), Prabhu Edouard (perc, tablas, voc) + Isabel Sorling (voc), Ibrahim Maalouf (tp)

Label / Distribution : Bonsai Music

Avec des albums comme Time Zone ou Namaste, Christophe Wallemme s’est à plusieurs reprises inspiré du voyage pour nourrir sa musique, avec des thèmes, des développements et des ouvertures de jeu remarquables. Le contrebassiste, pilier du groupe mythique Prysm, a, depuis un séjour de plusieurs années en Inde, incorporé des éléments de musique indienne à son jazz. Ôm Project est à cet égard une suite logique des efforts précédents, la présence de Prabhu Edouard, de ses tablas, et de son chant en onomatopées apportant un tropisme qui ne passe pas inaperçu et qui donne leur identité sonore à des titres comme « Flashback » ou « Back To My Ôm ». En revanche, la manière dont a été pensée et architecturée la musique est fort différente de ce qu’avait proposé Christophe Wallemme par le passé.

Le point de départ de cette nouvelle orientation musicale semble être l’envie de jouer de la basse électrique dans un contexte plus rock, plus binaire mais aussi plus balisé qu’auparavant. Sont préférés sur ce disque les exposés de thèmes, souvent construits comme des riffs, et des développements davantage portés sur le solo que sur l’improvisation collective. La musique gagne en concision et en robustesse ce qu’elle perd en sensualité. Les sons englobants de la guitare et du Rhodes, la brillance des instruments à vent, les rythmiques appuyées contrastent étrangement avec les trois titres, tous très beaux et sensibles, chantés par Isabel Sörling, pour lesquels la voix est centrale et soutenue par des orchestrations suspendues. Un contraste si fort que l’on a du mal à trouver du sens à leur présence dans ce programme où le groupe présente un son d’ensemble abouti, la paire Manu Codjia / Diederik Wissels proposant des textures intéressantes, avec une utilisation partagée du silence comme espace de projection des notes, qui se mêlent en de jolies textures. Manu Codjia est, on le sait, très à l’aise sur ces territoires jazz/rock où il peut tout aussi bien jouer sur les couleurs qu’extraire de sa guitare de longs phrasés nerveux. Pierre Alain Tocanier assure, en binôme avec Christophe Wallemme, une rythmique calée, inébranlable et dynamique.

Tout cela tourne si bien qu’on en arrive à chercher les aspérités. Il n’est pas question ici de remettre en cause les qualités intrinsèques des morceaux, mais de se questionner sur les aménagements prévus pour accueillir l’auditeur. Le bassiste nous avait habitués aux sentiers escarpés au détour desquels, en pleine nature, se révélait un paysage, un édifice. Ici, on a le sentiment d’être déposés au pied du temple, ou de regarder de magnifiques paysages à partir d’une route goudronnée. Certains apprécieront ce confort, ignorant son incidence sur le charme des endroits visités. Qui préfère voir se dessiner lentement un décor, au fil des pas, et avancer au rythme dicté par la topographie regrettera probablement ce choix d’une musique dont on a gommé la fragilité. Ôm Project est heureusement traversé de beaux instants, comme le délicat « Opus 5 », sur lequel Emile Parisien et Prabhu Edouard conversent le temps d’un démarrage épuré qui génère du suspense, laissant peu à peu la rythmique apparaître pour donner de la consistance, porter le soliste jusqu’à l’exposé du thème avant que tout ne s’évapore, laissant le saxophoniste à son songe, cette fois doucement accompagné par le piano, la contrebasse et des cymbales frémissantes. On s’échappe facilement , toujours parce que le fil narratif y est plus fin, à l’écoute du « Rêve de Cochin », on se laisse envoûter par Isabel Sörling reprenant « Between The Bars » de Eliott Smith… Puis on repart, avec de belles photos et les chaussures propres.