Sonny Stitt

Étranges années soixante-dix pour les aficionados d’un jazz acoustique hérité du bebop : la révolution électrique initiée avec le jazz-rock bouleverse les codes installés, le free-jazz quant à lui se cantonne dans une expérimentation de plus en plus radicale avec une mouvance européenne qui fait souffler un vent nouveau. Effacés, les musiciens afro-américains qui portent le swing en bandoulière devront attendre une décennie avant que le public les redécouvre.

Les tournées continuent néanmoins et sur scène il y a toujours moyen de démontrer son talent et de clouer le bec aux fossoyeurs empressés. Sonny Stitt est de ceux qui vont continuer de propulser une musique somme toute intemporelle car le blues la traverse de toutes parts. Le public ressort chaque fois conquis, les prestations en direct remettent les pendules à l’heure.

Ce 11 novembre 1973 à Baltimore, ce qui résonnait n’était pas une sonnerie aux morts mais bien une résurrection : un quartet endiablé surgissait à tombeau ouvert. L’énergie déployée par le saxophoniste alto ne pouvait que réveiller le fantôme de Charlie Parker, son idole. La salle surchauffée fut vite conquise, Sonny Stitt n’était pas qu’un second couteau comme on voulait bien le faire croire : jeune, il avait roulé sa bosse dans le big band de Billy Eckstine, tenant tête à Dexter Gordon. Plus tard, il arpenta les scènes avec Bud Powell puis avec Miles Davis qui l’emmena en tournée européenne.

L’énergie était telle à Baltimore que les partenaires de choix de l’altiste n’eurent pas le temps de baisser la garde. L’inventivité de Kenny Barron permettait de placer les bonnes pièces d’un puzzle où chaque note appelait à créer des développements ingénieux. Sam Jones soutenait le rythme sans oublier de placer un solo déployant une créativité fertile, et que dire du merveilleux Louis Hayes, son univers foisonnant aux cymbales frôlant le superlatif. Sonny Stitt emmena ses hommes dans ce concert à la conquête de sommets de musicalité, pleinement enthousiasmé par le succès de son album Tune Up , paru une année auparavant, qui le consacrait enfin comme un éminent soliste.

Ce remarquable concert inédit édité par Elemental Music montre toute l’intensité artistique d’un saxophoniste à réhabiliter, car sa musique est indémodable.