Scènes

Sous le soleil d’Hermance, le jazz et la plage 🇨🇭

La dernière édition du Festival helvétique Jazz sur la plage, à Hermance, a tenu ses promesses.


Garcia Etoa Ottou © Emmanuelle Nemoz

Le charmant village d’Hermance connait l’effervescence chaque été lors de l’édition de Jazz sur la Plage. Le festival a eu lieu les 9 et 10 août 2024 en partenariat avec l’association Agis qui a pour objectif de favoriser l’épanouissement de personnes en situation de handicap mental et physique dans un contexte de loisirs, accompagnés par des bénévoles. De nombreux habitants locaux prêtent main forte à l’équipe organisatrice et cette trente-deuxième édition a permis de découvrir de nombreuses formations animées par de jeunes musicien.nes, les bonnes surprises n’ont pas manqué.

Entièrement gratuits, les concerts drainent un vaste public qui se partage entre plusieurs scènes dont celle du Caveau où des groupes font parler la poudre. Le premier d’entre eux, le quartet de Léo Geller s’active, porté par les découpages rythmiques de Malo Thiery. Des effluves coltraniennes se propagent rapidement avec le soprano de Grégory Sallet, déjà remarqué avec son quartet Sur Ecoute. Ce musicien unit le pouvoir mélodique avec des interventions brulantes, son parcours formateur à New-York avec Tim Berne ou Steve Coleman à laissé des traces dans son jeu inspiré. Fanny Bouteiller sait comment soutenir les solistes avec sa contrebasse, son tempo métronomique permet aux thèmes de s’enchaîner, « Shinjuku » est d’ailleurs une composition inventive qui ne nous quitte plus. Fortement influencé par Kurt Rosenwinkel, Léo Geller privilégie des notes graves empreintes d’une recherche sonore en perpétuelle mutation. Applaudissements chaleureux.

Ravi Ramsahye © Emmanuelle Nemoz

Tel un décapage de peintures superposées dont on ne viendrait pas à bout, Ravi Ramsahye et son quartet Prototype étonnent et émoustillent le public, vite acquit à sa cause. Son jeu guitaristique zébré d’influences de Mahavishnu Orchestra n’hésite pas à s’ornementer de tout un pan des musiques électriques, passant d’une ambiance post-punk à une pop déjantée. Benoît Gautier à la contrebasse se laisse porter par des rythmes calypso en lien avec le batteur Nathan Triquet trop heureux de se faufiler dans ces multiples ambiances. Le saxophone ténor de Théo Hanser adopte un phrasé qui évite toute facilité, le tout agrémenté de sons électroniques. Remarquable.

L’intensité est transcendée avec le jeu époustouflant du batteur Garcia Etoa Ottou, ce musicien sidérant est capable de tout.

Changement d’ambiance et de format musical avec la prestation sur la grande scène de la Plage du groupe électrique Afroplugged porté par la voix envoutante d’Emma Lamadji. La forte identité artistique de cette chanteuse transporte l’auditoire. Remarquée aux côtés de Fidel Fourneyron et son projet Bengue l’an dernier, elle a ensuite intégré No Borders de Théo Ceccaldi. Il était temps qu’elle puisse exprimer toute la musique qui l’habite, faite de rythmes spécifiques, de contrechants succulents scandés par Emilienne Chouadossi et d’une mixité culturelle contemporaine. Damien Bianciotto essaime des accords rythmiques à la guitare, essentiels au synthétiseur de Samuel Mastorakis, véritable émule de Joe Zawinul. La frénésie est indissociable du duo composé par Benjamin Etur à la basse et de Quentin Braine à la batterie, paire idéale pour soutenir le chant engagé d’Emma Lamadji qui dénonce des exactions et rend un hommage appuyé aux femmes africaines. L’afro soul se propage intensément par sa sublime voix centrafricaine, l’esprit de Miriam Makeba n’est jamais très loin.

Plus intimiste, le trio du batteur Valentin Liechti mêle l’électronique et le souffle de la trompette de Shems Bendali qui a marqué les esprits avec son album Tabriz. C’est le bassiste australien Rodrigo Aravena qui sera le plus remarqué tant son ancrage terrien est conséquent, imperturbable il injecte des sonorités saturées et offre l’opportunité au trompettiste de s’envoler. La transe mystique tend à s’approfondir avec des passages cosmiques qui s’assimilent par moments aux univers de Palle Mikkelborg. Le raffinement et la dramaturgie n’ont fait qu’un.

Emmanuelle Bonnet © Emmanuelle Nemoz

La spontanéité qui émane de la chanteuse Emmanuelle Bonnet trouble le public, chaque note scandée prend un sens particulier, Daniel Roelli fait déferler des couleurs qui subliment l’art exploratoire de Bill Evans afin de l’intégrer aux ponctuations de la paire rythmique composée de Tabea Kind à la contrebasse et de Lucas Zibulski à la batterie. La sensibilité est de mise et une réconciliation se réalise entre les partisans d’un jazz acoustique raffiné et les tenants d’improvisations contemporaines, l’atonalité s’établissant par touches successives. La composition « Left Alone » de Mal Waldron se pare d’une exquise beauté, Emmanuelle Bonnet a réussi à mêler l’expérimentation et la luxuriance.

Voilà la grande révélation du festival, VERB. Si ce trio se produit dans votre région, ne les loupez pas. Lauréat du Tremplin Jazz à Vienne, l’interaction féconde prend ici tout son sens. L’intensité est transcendée avec le jeu époustouflant du batteur Garcia Etoa Ottou, ce musicien sidérant est capable de tout. Il allie une virtuosité sans faille digne de Billy Cobham et un humour proche de celui d’Han Bennink. Spectaculaire.
Son jeu aux balais est subtil tout autant que le sont ses relances empreintes de dynamisme. Les trios historiques piano, contrebasse, batterie sont réinventés avec des compositions foisonnantes telles que « LSF », abréviation de La, Si, Fa les trois notes initiatrices du thème ou « Charleston », le nom du café d’Amiens où ces trois musiciens se rencontrèrent. De nombreuses orientations dans des séquences libertaires se succèdent pour notre plus grand bonheur. Charles Thuillier est souverain à la contrebasse, lyrique et subtil à l’archet et Noam Duboille demeure passionnant lorsqu’il flirte avec des accords proches du style d’Andrew Hill. Acclamations et rappels successifs furent de mise.

La mode des formations qui intègrent des trompettistes qui manipulent les effets électroniques ne cesse de croître. MOHS se compose de Zacharie Ksyk à qui est dévolu ce rôle, Erwan Valazza à la guitare et le duo basse, batterie composé de Gaspard Colin et Nathan Vandenbulcke. C’est une invitation aux voyages qui se dessine, des contrées diversifiées se succèdent avec les stridences de la trompette qui se fraie un chemin dans des volutes sonores métronomiques. Le guitariste lance des phrasés formatés qui conduisent le batteur à un jeu binaire. Le son d’ensemble demeure très amplifié.

Afroplugged - Emma Lamadji et Emilienne Chouadossi © Mario Borroni

Quelle belle fin pour ce festival qui offre l’opportunité au public d’écouter, de danser ou de commenter joyeusement la prestation de la fanfare imprévisible Traktorkestar. Ici se conjuguent l’originalité et la fougue endiablée, il faut entendre une fois dans sa vie la composition de Frank Zappa « Let’s Make The Water Turn Black » arrangée par le tromboniste Matthias Baumann. Les douze musiciens de Berne vont tout donner, leurs compositions effervescentes qui unissent les musiques suisses et balkaniques provoquent d’emblée ce son si particulier qu’avait aussi le Willem Breuker Kollektief. Cette similitude se perçoit jusque dans le grand coffret lumineux destiné à la vente de disques, marque de fabrique du collectif néerlandais. Les secousses telluriques enivrent, entre des sons bavarois et des solos très élaborés. La section de saxophones flirte avec le free jazz, les trombones et l’hélicon utilisé avec maestria par Juerg Lerch déversent une lave incandescente. Les compositions « Per Domenico Morelli », « Yvette », « Fontanella Dance » agrémenté d’un superbe solo de saxophone alto, « Electrum » mis en valeur par un trombone chaleureux, « Antigoni », « Mama Lug ! » impactent la foule conquise.

Toutes les programmations artistiques ont été assurées communément par Vanessa Horowitz, que nous retrouverons en octobre pour le Festival JazzContreBand, et Pierre-Edmond Gilliand qui peuvent se réjouir de la réussite de cette édition de Jazz sur la Plage où soleil et sourires furent au rendez-vous.