Sur Ecoute & Pierre Durand à la Fraternelle
Deux mondes s’affichent ce soir-là, rue de la Poyat à Saint-Claude : l’un acoustique et l’autre électrique, tous deux complémentaires.
Une salle remplie, un public conquis, des musiciens ravis, que demander de plus lors de cette soirée du 13 mai 2023 ? Dans cette vieille bâtisse historique qu’est La Maison du Peuple, une équipe de passionnés œuvrent au sein de l’association La Fraternelle : cinéma, concerts, théâtre, danse partagent la scène au sein de ce lieu de diffusion et de créations contemporaines idéalement situé au centre de la ville de Saint-Claude.
S’il y avait à coup sûr une personne satisfaite ce samedi 13 mai au soir, c’était Christophe Joneau, directeur de l’association La Fraternelle. Dans son fief historique de Saint-Claude, deux formations très inventives venaient de donner des concerts remarquables.
- La Fraternelle @ Mario Borroni
Entrent en scène Grégory Sallet aux saxophones, Matthieu Roffé au piano ainsi que la paire rythmique Michel Molines à la contrebasse et Kevin Lucchetti à la batterie. Le moins que l’on puisse dire, c’est que ces jeunes musiciens savent s’écouter et laisser respirer la musique.
Le lyrisme est partie intégrante du quartet Sur Écoute. Le pianiste, fort de son expérience dans des formations à géométrie variable telles que le Chamber Metropolitan Trio, qui se nourrit d’influences classiques de la musique européenne, et le duo original qu’il anime avec la flûtiste Yuriko Kimura, nous offre des couleurs inspirées par Maurice Ravel. Le saxophoniste se consacre surtout à l’alto et son langage élaboré se distingue, avec des successions de notes très fluides. Ses leçons prises à New-York auprès de Steve Coleman et Tim Berne ont du bon. La paire rythmique est d’une complémentarité qui fait plaisir à entendre, la compréhension harmonique du batteur est certainement héritée de son travail avec Hervé Sellin dans le projet Passerelles, entre jazz et musique classique. Quant au contrebassiste, il ne surjoue pas de son instrument, son expérience rythmique avec le batteur brésilien Zaza Desiderio n’y est pas pour rien.
- Grégory Sallet et Matthieu Roffé @ Mario Borroni
Ce set sera plébiscité par le public, la mise en place des interactions est sans faille : une montée en puissance, des tensions mélodiques toujours bien pensées enrichissent la formation, rien ne laisse à désirer.
Un parfum d’exotisme se fait jour avec la composition « Otsukaresama » qui fait écho au Japon, le pianiste ayant eu l’occasion de jouer dans de nombreux clubs de jazz au Pays du Soleil Levant. Est-ce l’influence avérée du Samouraï Myamoto Musashi qui incite le saxophoniste l’occasion à privilégier un chant majestueux au saxophone ? Lors de l’ultime morceau, « Okinawa Matsuri », son phrasé tend à l’élévation spirituelle. Rien d’étonnant à ce que ce saxophoniste revendique l’influence de Steve Lacy, ressentie lors de ses interventions au saxophone soprano. On se souvient du rapport intime que le maître Lacy entretenait avec les arts japonais.
Ovation méritée pour cette formation soudée, Sur Ecoute et ses quatre musiciens rhônalpins.
Changement de décor avec l’entrée en scène de Pierre Durand et son groupe. Après un set entièrement acoustique, c’est la Fée Électricité qui va générer une musique foisonnante, riche d’influences historiques et de surcroît prête à se remettre en cause.
Tout démarre en trombe avec un hommage bienvenu à David Bowie. Il semble que le musicien britannique a plus qu’inspiré Pierre Durand : il l’habite, comme le guitariste le dira au micro. Cette composition passionnante, où les breaks inventifs offrent matière à des rebondissements rythmiques, fait décoller le quartet. Le son de Pierre Durand est grisant, poignant et spectaculaire à la fois, dévoilant une inspiration toujours empreinte d’élégance. Le blues n’est jamais loin, de même que des propagations de musiques actuelles, boucles de rap ou sonorités novatrices. Tel un démiurge, Pierre Durand invente et surprend avec splendeur.
- Pierre Durand et Jérôme Regard @ Mario Borroni
Fred Escoffier apporte la réponse idoine au guitariste avec son synthétiseur et son vocoder : des climats variés défilent, avec pour certains des couleurs enchanteresses comme dans l’hommage rendu à Rickie Lee Jones. La musique est alors comme suspendue. Lors des moments les plus enjoués, le claviériste rappelle par certaines de ses sonorités David Sinclair, qui fit les beaux jours de l’école de Canterbury.
Quant aux deux musiciens formant la rythmique électrique, ils sont impressionnants d’entente mutuelle. Jérôme Regard, l’enfant du pays, retrouvant cette ville qu’il connaît comme sa poche et où il fit ses études, a troqué pour cette occasion sa contrebasse pour une basse électrique qui délivre un son dense et envoûtant ; une force herculéenne se dégage de son soutien tout au long de la prestation du quartet.
Marc Michel, qui comme Jérôme Regard, fut initié enfant à la musique par son père, installe un groove constant où les métriques appuyées s’imprègnent de détails subtils.
Ce concert a fait l’unanimité pour l’ingéniosité des improvisations et leur rayonnement communicatif. Il ne nous reste plus qu’à patienter en attendant la sortie d’un album prévu pour novembre 2023.