Entretien

Szymon Gąsiorek, l’expérience de l’art

Entretien avec le batteur polonais résident danois, artiste complet et occupé.

Szymon Pimpon Gąsiorek n’a pas la trentaine et est déjà moteur d’une dizaine de projets, groupes, festival, émissions de radio et autres activités artistiques qui tournent autour du jazz et des musiques improvisées. La sortie imminente de son premier solo de batterie, Pozdrawiam, et de plusieurs disques sur lesquels il collabore, est un bon prétexte pour faire découvrir ce musicien précoce et fécond, européen et touche-à-tout. Un portrait musical complète cet entretien.

Szymon Pimpon Gąsiorek © Kaja Draksler

- Quel est votre premier contact avec le jazz et la musique improvisée ?

Le premier style de musique qui m’a fortement impressionné a été le rock. C’est l’énergie et la fraîcheur d’un groupe de rock qui m’ont attiré. Ensuite, je me suis davantage intéressé à l’expression personnelle, originale et libre, telle que je la trouve dans le jazz, le free jazz et la musique improvisée.
J’avais entendu parler du trompettiste polonais Tomasz Stańko et j’étais allé chez un disquaire pour acheter son CD, le moins cher ! C’était Music for K de 1970. Au début, je ne comprenais pas du tout ce qui se passait mais rapidement, c’est devenu ma musique préférée.
À l’âge de 14 ans, j’ai créé un groupe avec des amis de ma ville natale, Wschowa. Nous essayions de jouer du « jazz » et d’improviser librement. Nous composions ensemble et nous aimions les idées étranges. Plus tard, Vitold Rek a appelé notre musique « dada jazz ».

- Pourquoi avez-vous choisi de vous installer à Copenhague ?

Après avoir terminé mes études de musique en Pologne (en percussions classiques) et le lycée, je cherchais un endroit pour poursuivre mon cursus musical. J’avais le choix entre l’étude du répertoire classique ou le développement de la batterie + la composition + l’improvisation. En Pologne, il n’y a que des écoles de musique classique et de jazz qui sont plutôt conservatrices (un peu de be-bop associé parfois à ce qu’ils appellent la « musique de scène » ou la « musique de divertissement »).

Expérimenter, composer tout en enregistrant, j’aime cette façon de travailler.


J’avais entendu de bonnes choses sur la formation au Danemark : liberté, créativité, individualité, etc. Je ne connaissais pas grand-chose du Rhythmic Music Conservatory (RMC), mais j’ai quand même postulé. J’ai été admis et il s’est avéré que c’était une école encore meilleure pour moi que ce à quoi je m’attendais. La scène de Copenhague m’a également absorbé. J’ai obtenu mon diplôme de l’école et suis resté en ville (pour l’instant).

- Vous enregistrez depuis dix ans avec une discographie conséquente, pourquoi cet engouement pour le studio ?

Je pense qu’il y a deux raisons.
La première vient logiquement de la création de différents groupes et projets. Vous jouez pendant un certain temps, vous accumulez du matériel et vous voulez le consigner sur un enregistrement et pouvoir le partager avec toute personne intéressée par le sujet.
La seconde concerne le processus dans lequel l’enregistrement fait partie de la création. Certaines musiques que j’ai faites n’avaient pas de forme définitive avant d’être enregistrées. Quelques idées, combinées ensuite sur un enregistrement multi-piste. Expérimenter, composer tout en enregistrant, j’aime cette façon de travailler. Par exemple, le dernier album de Wood Organization, Drimpro, a été réalisé de cette manière, tout comme mon album solo qui sort en avril.

Szymon Pimpon Gąsiorek © Kaja Draksler

C’est facile de concevoir un duo. A partir du trio et plus, ça commence à être plus problématique.


- Vous jouez le plus souvent avec des musiciens danois et polonais : quels sont les liens entre ces deux scènes ?

Je crois que les liens sont généralement le fait de musiciens polonais qui étudient au Danemark. Il y a eu une grande vague dans ce sens, dix ans avant mon arrivée au Danemark. La plupart de mes collègues musiciens plus âgés allaient au conservatoire d’Odense à l’époque. Lorsque j’ai commencé ma deuxième année au RMC, il y avait 14 étudiants polonais dans une école de 200 personnes. C’est quand même significatif. Et puis on se mélange, on fait des projets ensemble, on part en tournée ensemble en Pologne et dans d’autres pays.
Mais il pourrait y avoir un lien plus serré entre les scènes - j’aimerais bien ! Les gens en Pologne ne connaissent pas beaucoup la musique du Danemark et vice versa. J’essaie de changer un peu les choses en organisant le festival Idealistic qui fait venir des groupes polonais à Copenhague et des artistes danois en Pologne et en faisant une émission de radio Trans-Bałtyk sur la radio polonaise Kapitał, où je diffuse de la musique underground danoise.

- Vous avez enregistré beaucoup de duos, pourquoi ce format particulier ?

C’est une dynamique qui fonctionne. C’est facile de concevoir un duo, si on se fait confiance, on y va ! C’est la somme de l’expression de deux personnes seulement. A partir du trio et plus, ça commence à être plus problématique : la démocratie ? - très difficile et en général elle ralentit tout, la monarchie ? - ça marche aussi mais vous êtes responsable de beaucoup de choses en dirigeant un groupe. En duo, il est facile de naviguer entre responsabilité individuelle et synergie.

Je suis conscient que l’humour existe, mais il se manifeste naturellement. Je suis sérieux dans ma musique.


- Avec Czajka & Puchacz (le duo avec Kaja Draksler), quelle est la recette ?

Liberté, confiance et expérimentation des outils. Nous avons commencé par un duo d’improvisation acoustique. Puis nous avons commencé à ajouter des samples avec du spoken word. Puis nous avons fait une chanson « disco » en allemand. Nous utilisons nos voix et les faisons passer par l’autotune et le vocoder. Et finalement, nous rassemblons le tout. On improvise toujours, c’est à la fois acoustique et électronique, avant-gardiste et pop, en espérant que ça reste cohérent !

Pimpono Ensemble © Michal Malota

- Pourquoi utilisez-vous autant l’autotune et le vocoder dans votre projet ? Et qu’en est-il du besoin de mots et de paroles ?

J’utilise l’autotune, pour le son qu’il donne à la voix. C’est une façon pour moi de faire référence à la culture pop moderne. La trap, la pop, la nouvelle école de rap, etc. l’utilisent beaucoup de nos jours. Et pour moi, ce son évoque ces contextes de façon immédiate. J’aime aussi tout simplement le son ! J’aimerais que ma musique puisse relier l’avant-garde à cette culture pop. Mettre de la texture, du bruit, du field recording avec des arpèges de synthé et des voix autotunées est un exemple assez clair de cette volonté.

Quant aux paroles, parfois j’en ai besoin pour dire quelque chose de plus spécifique. La musique est abstraite - Dieu merci ! Mais parfois, pour affiner le sens, j’utilise des mots. Toujours des paroles très courtes : un mot, une phrase, quatre lignes maximum. Le contenu doit être condensé, clair et puissant - en tout cas, je l’espère !

- Assumez-vous cette part d’humour que vous mettez dans la musique, les arrangements et même la mise en scène (notamment avec Czajka & Puchacz et l’Ensemble Pimpono) ?

Je n’envisage pas vraiment ma musique comme humoristique. Je suis conscient qu’elle véhicule de l’humour mais il se manifeste naturellement. Je suis sérieux dans ma musique. Si quelqu’un rigole, c’est bien aussi, mais je ne cherche pas à atteindre cet objectif.
Après un concert avec Kaja, où j’ai improvisé une chanson en anglais sur autotune, on m’a demandé si c’était censé être ironique. Je ne voulais pas être ironique, je cherche seulement à garder une relation évidente avec la culture pop moderne quand je m’en empare.
Finalement, je pense que la vie est à la fois sérieuse et risible. Il en va de même pour la musique.

- Vos talents de dessinateur-graphiste-photographe nourrissent-ils votre travail de musicien et vice versa ?

Absolument. Je crois fermement que l’art s’inspire directement de la vie et que la vie s’inspire de l’art. Il en va de même entre les formes d’art. D’une certaine manière, être musicien est devenu ma profession et c’est dans cela que j’ai investi le plus de temps. Par conséquent, dans d’autres formes d’expression comme le dessin, la photographie, etc. je me sens plus amateur, mais au fond, c’est la même chose.

Être freelance dans un domaine musical de niche vous oblige à faire vous-même plein de choses diverses autour de la musique.


- Quelle est votre situation actuelle en tant que freelance, label manager, producteur radio, artiste visuel, etc. Comment envisagez-vous l’avenir ?

Être freelance dans un domaine musical de niche vous oblige à faire vous-même plein de choses diverses autour de la musique. Vous écrivez de la musique, vous la jouez, vous dirigez un groupe, vous la sortez, vous la gérez, vous faites du graphisme et de la promotion, vous conduisez un van… et vous réalisez que cette musique que vous aimez mérite plus d’espace alors vous faites un festival, une émission de radio…
Dans un futur proche, je veux essayer de m’éloigner un peu de la partie administrative et me concentrer sur la pratique de base. J’aimerais m’exercer davantage à la batterie, composer, faire des recherches, lire des livres instructifs, apprendre l’électronique.
J’espère pouvoir faire des concerts avec mes groupes. Je ne planifie jamais mon avenir à long terme. Comme « où est-ce que je veux être dans 5 ans ». Je peux aussi mourir à tout moment. Bien sûr, il faut planifier pour que les choses se produisent. J’essaie de trouver un équilibre entre cela et le fait de suivre spontanément les choses.

Szymon Pimpon Gąsiorek © Kaja Draksler

- Quels sont vos prochains projets en termes de groupes et de disques ?

J’ai quelques disques en route. L’album solo dont j’ai parlé. Ce sera mon premier album solo : Pimpon - Pozdrawiam (Pointless Geometry)
Une suite que j’ai écrite il y a longtemps a finalement été enregistrée cette année. Elle s’appelle « Past And Future Don’t Exist And Now Is The Rhythm » et elle est jouée par deux batteurs et quatre joueurs de cor.
Je travaille également sur un deuxième album de mon groupe E/I. Nous avons enregistré dans un ancien château d’eau à Copenhague, avec une énorme réverbération.
J’ai également l’intention de former un nouveau groupe avec des musiciens polonais et d’écrire une musique entièrement nouvelle pour ce groupe. Peut-être un sextuor. À suivre…