Chronique

Irreversible Entanglements

Who Sent You ?

Camae Ayewa - voix ; Keir Neuringer - sax, perc ; Aquiles Navarro - tr, perc ; Luke Stewart - b, perc ; Tcheser Holmes - d, perc

Label / Distribution : International Anthem

Il est temps de se réveiller ! Black Music Matters et Irreversible Entanglements est là pour le dire haut et fort. Et « Le Code Noir », le morceau d’ouverture, a le goût amer d’un passé insupportable.

Le collectif Irreversible Entanglements s’est constitué en 2015 à New York lors de la manifestation Musicians Against Police Brutality. Autant dire qu’il s’agit de politique. La voix et les textes sont de Camae Ayewa, qui officie dans d’autres projets sous le nom de Moor Mother.
Enregistré et produit par le label International Anthem, ce disque (dont la pochette est signée Damon Locks, autre artiste de la maison) fait suite à un premier jet de 23 minutes, « Homeless/ Global » sorti en 2019.
Collective, improvisée, brûlante et continue, la musique se crée à l’instant et porte les mots de Camae Ayewa.

La scène africaine-américaine est plus que jamais debout, le poing levé dans cette Amérique qui se coupe en deux avec d’un côté une horde fanatique prête à tout pour donner raison à un discours improbable, ahurissant et violent qui émane de la Maison Blanche, et de l’autre une population sonnée qui cherche en vain un second souffle pour sortir de ce cauchemar antidémocratique, soit par le vote résigné soit en manifestant parfois. Il est loin le désir de partager une dinde aux canneberges pour Thanksgiving entre citoyens de toutes conditions.
La crise a éclaté au grand jour et ce qui nous arrive ici - et Irreversible Entanglements en incarne parfaitement l’image - c’est le souffle d’une ex/im-plosion de rage. « Do we stand up and say something ? », demandent-ils.

Tout comme chez Jaimie Branch, Damon Locks ou Heroes Are Gang Leaders, pour ne citer qu’eux, le texte est nécessaire, indispensable. Il porte plus fortement encore la colère, le questionnement et le cri d’alarme de ces artistes.
Le quartet instrumental, constitué de deux vents (sax et trompette), une contrebasse et une batterie, est aussi aux percussions, ce qui produit immanquablement un effet de transe que la poétesse maintient avec charisme. Parfois, les mots laissent place à quelques échanges instrumentaux cuivrés et chaleureux, avec toujours cet héritage africain-américain du free jazz remis au goût du jour et même propulsé dans le futur, telle « une méditation tentaculaire pour afro-cosmonautes ».
La Great Black Music est plus que jamais incandescente.