Chronique

Thibault Florent

So-Lo-Lo

Thibault Florent (g)

Label / Distribution : AlambikMusik

Publié au printemps dernier, ce premier album en solo du guitariste Thibault Florent constitue une des belles surprises de l’année. Pas étonnant, si on en juge par le pédigrée de ce trentenaire lyonnais qui a su se forger une culture nourrie de jazz et de musiques improvisées. Florent est par ailleurs membre de Pan-G, dont Citizen Jazz a récemment salué la qualité du premier disque. On avait aussi repéré le guitariste il y a quelques années au sein du trio Singe, l’occasion pour lui de s’exprimer dans un univers entre jazz et noise rock. Jamais en repos, il se frottera à un jazz tout aussi débridé avec Tût ainsi qu’au sein de The Very Big Experimental Toubifri Orchestra. Et c’est au cours d’une série de stages à Berlin qu’il commencera à imaginer un solo de guitare 12 cordes où l’instrument est tout autant source de rythme que de mélodie. Cette expérience donnera naissance à différentes collaborations ; dont le duo Eden Scarole ainsi qu’un concert improvisé avec Benjamin Duboc et Hilary Jeffery. Prolongement naturel de cette succession de travaux, So-Lo-Lo, publié Alambik Musik, est pour Thibault Florent à la fois la marque d’un aboutissement - parce qu’il n’est jamais anodin de graver sur disque une musique et qu’on le fait pour signifier un moment-clé - et une étape essentielle dans un cheminement qui n’en est, à l’évidence, qu’à ses débuts.

Il y a dans l’aventure en solitaire de So-Lo-Lo tous les ingrédients d’un voyage loin des sentiers balisés du tourisme musical de masse. Plutôt que de s’accrocher à une mélodie facile, Thibault Florent se met en quête d’une transe dont le caractère répétitif, à l’instar d’un gamelan balinais (comme sur « Electron » en clôture du disque), a quelque chose d’hypnotique. On ne tarde pas à s’y abandonner, tout au long de compositions improvisées dont la durée peut dépasser 17 minutes. Avec lui, le temps ne compte pas - il se façonne et déroule ses sinuosités. Ainsi « Not OK » qui s’étire avec beaucoup de grâce, jusqu’au moment ou s’installe un silence « cagien » de plusieurs minutes. Le chant étincelant des arpèges évoque par ailleurs l’impressionnisme de la musique folk américaine ; à certains moments, on pense aussi à une autre expérience guitaristique en solitaire, celle de Pierre Durand et son invitation au voyage, telle qu’enregistrée sur Chapter One : NOLA Improvisations.

De plus, Thibault Florent n’a pas son pareil pour détourner les cordes, qu’il prépare au moyen d’une série d’objets, barrettes ou aiguilles à tricoter. Sa façon de modifier le son de son instrument, de le rehausser de couleurs métalliques et cristallines, à certains moments proches du koto japonais (une composition s’appelle justement « Japon »), fait parfois penser aux travaux d’un Fred Frith, autre baroudeur du manche et adepte des improvisations buissonnières. Sa voix surgit de temps à autre, se frayant un chemin dans la trame esquissée par les cordes (« I Heard A Noise », « Not OK »), quand elle n’interpelle pas malicieusement l’auditeur en lui susurrant : « Es-tu déjà parti au Japon ? » ; mais cette présence humaine ne fait qu’ajouter au caractère méditatif et presque mystique de l’ensemble.

L’effet séduction de So-Lo-Lo agit instantanément : si Thibault Florent préfère les chemins de traverse aux routes encombrées par le trafic des musiques prévisibles, ses pérégrinations de l’imaginaire sont à tout moment source d’un étonnement presque émerveillé. Cette musique est envoûtante et d’une beauté formelle indiscutable. Cerise sur le gâteau – parce qu’il est toujours bon que fond et forme s’unissent dans la même volonté de capter l’attention – la pochette cartonnée et son graphisme donnant l’illusion du relief est un modèle d’élégance ; signée Marilou Rexy, elle donne aussi envie de toucher cette musique sensuelle autant qu’elle nous touche.