Chronique

Himiko

Nebula

Himiko Paganotti (voc), Emmanuel Borghi (kb), Bernard Paganotti (elb, g), Antoine Paganotti (dms) + Nguyên Lê (g), Ronnie Bird (voc).

Label / Distribution : Assai Records

On pourrait évoquer le fait que les quatre musiciens réunis sous la bannière Himiko - car c’est bien désormais le nom d’un groupe et plus seulement un prénom - ont, un jour ou l’autre, été membres de Magma. Et pour certains en des temps reculés. Il serait tout aussi possible de souligner le caractère familial d’une petite entreprise musicale qui en ferait presque un cas d’école. On serait avisé, enfin, de se rappeler un premier duo unissant Himiko Paganotti et son compagnon (à la ville comme à la scène) Emmanuel Borghi, sous le nom de Paghistree. Un duo devenu trio et baptisé Slug à l’occasion d’une association avec le guitariste John Trap, comme le prouvent deux disques qui virent le jour il y a quelques années [1]. Une fois rassemblés ces indices plus ou moins épars, on se dit qu’une histoire est en marche depuis un bon bout de temps, avant de se réjouir de la parution de Nebula chez Assaï Records, le label de Bertrand Lajudie et Stéphane Chausse. Voilà un album captivant dont la pochette noir sur noir n’est pas sans faire penser à la version LP de l’ultime David Bowie, Black Star.

Et comme chez Pierre Soulages, du noir peut surgir la lumière. Parce qu’en réalité, Nebula est un disque aussi lumineux que son apparence est sombre. Surtout, il se présente comme le signal d’un nouveau départ qu’on souhaite décisif. Bien sûr, les oreilles les plus exercées avaient pu déceler depuis belle lurette le talent de la chanteuse à travers différentes expériences où son registre vocal très étendu faisait merveille : au sein de Magma tout d’abord, quand sa voix avait d’emblée trouvé une place centrale dans le chœur kobaïen ; aux côtés de Nguyên Lê pour des Songs Of Freedom étincelants ; sans oublier John Greaves, Sophia Domancich ou Michael Mantler. Ces mêmes oreilles savaient tout le talent d’Emmanuel Borghi, dont il faut réécouter le beau Keys, Strings & Brushes en 2012. Et que dire de l’actif Antoine Paganotti, ici batteur mais dont le talent de chanteur est reconnu, comme le prouve le récent Clinamens signé du pianiste Patrick Gauthier ? Ajoutez un Bernard Paganotti, bassiste qui fit autrefois ses armes aux côtés de Christian Vander et vous obtenez un combo en état de lévitation. Et puisqu’il est ici question d’un père et de son fils, on saluera sans attendre la qualité d’une rythmique qui gronde et pousse avec un plaisir non dissimulé ses pions sur l’échiquier féérique d’un album qu’on déguste comme une gourmandise. Prenez deux exemples tels que « Nebula » et « No Witness », vous comprendrez aussitôt de quoi il retourne.

Avec Himiko, il n’est pas vraiment question de jazz, même si cette musique habite chacun des musiciens en présence, à des degrés divers. Il faudrait plutôt parler de pop songs oniriques et d’atmosphères ensorcelantes. Certains n’hésitent pas à évoquer un univers à la Tim Burton : c’est en effet une bonne façon de délimiter en quelques mots les contours de ce qui se trame au fil de dix compositions au gré desquelles on croise deux invités en la personne de Nguyên Lê à la guitare et, comme un revenant, de… Ronnie Bird au chant (« I Don’t Want Out »). Himiko Paganotti et Emmanuel Borghi quant à eux s’en donnent à cœur joie, celle des enlumineurs qu’ils sont au plus intime de leur vibration. On ressent l’amour qui circule entre eux dès lors qu’il s’agit de faire chavirer le climat vers des espaces sans nom, volontiers secrets et ludiques. D’un bout à l’autre du disque, le travail du pianiste est d’une étonnante richesse harmonique, rythmique et picturale ; de son côté, la voix d’Himiko, plus envoûtante que jamais (écoutez par exemple la magnifique ballade qu’est « Pearl Diver »), ne cesse de se faufiler entre les nombreux et malicieux interstices des effets qu’elle lui applique pour ajouter au mystère ambiant. Nebula sent le coup parfait.

Ces musiciens-là pratiquent l’enchantement en toute décontraction : il faut s’abandonner sans réserve à leurs rêves d’enfants, partir avec eux à la quête des trésors cachés qu’ils révèlent en sortant de l’ombre et qu’ils étaient peut-être les seuls à connaître. On ne les remerciera jamais assez d’avoir bien voulu les partager. Go Himiko !