Chronique

Tim Berne-Hank Roberts-Aurora Nealand

Oceans and

Tim Berne (as), Hank Roberts (cello), Aurora Nealand (acc, clar, voc)

Label / Distribution : Intakt Records

Ce nouveau trio dans lequel officie Tim Berne surprendra certainement les amateurs du saxophoniste par son originalité. Sans déroger à un parcours exigeant de recherche sonore, l’Américain, volontiers amateur de compositions complexes et nerveuses aux phrasés sinueux, développe ici avec ses partenaires un projet entièrement improvisé, à la fois linéaire et d’une humeur crépusculaire. 

En compagnie de son vieux camarade Hank Roberts au violoncelle, avec qui il collabore inlassablement (c’était encore le cas au Petit Faucheux en ce début d’année), il s’associe cette fois à Aurora Nealand que les curieux auront déjà pu entendre à ses côtés dans le quartet Mystic (avec David Torn et Chez Smith, et accessible sur bandcamp). Cette poly-instrumentiste, outre sa capacité à jouer de l’accordéon ou de la clarinette (elle joue également du saxophone dans d’autres contextes) comme de donner de la voix, pratique sa musique dans des environnements variés puisqu’on peut également l’entendre dans un style New-Orleans bien éloigné de ce qu’elle propose dans ce trio plus radical. 

Dans une succession de pistes homogènes aux climats doux, les trois musiciens jouent en effet de la superposition ou la juxtaposition des voix avec un art subtil du mimétisme qui laisse à certains moments entendre un saxophone là où on pensait écouter un violoncelle, une voix là où semblait pointer le souffle d’un accordéon. Avec beaucoup de minutie et un travail notable sur l’équilibre, les trois angles de ce triangle pointent vers un discours ténu et délicat, parfois étourdissant, qui évoque par certains côtés, et sans la grammaire, l’esprit de la musique baroque la plus chambriste. 

Nous sommes évidemment dans une proposition ancrée dans notre vingt-et-unième siècle inventif et quelques dissonances discrètes, quelques tournures évoquant irrémédiablement le langage de Berne, nous rappellent à la modernité incarnée par ces musiciens. Mais le jeu en retrait, notamment de Roberts qui s’efface entièrement derrière son archet pour produire de magnifiques linéaments sonores, est un hymne subtil à une forme de méditation mélancolique - et, sans que cela soit contradictoire, lumineuse - qui saisit l’attention et conduit l’auditeur à la rêverie.

par Nicolas Dourlhès // Publié le 9 juillet 2023
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