Scènes

Tim Berne au Petit Faucheux

Une date au Petit Faucheux à Tours pour le trio de Tim Berne (avec Greg Belisle-Chi et Hank Roberts).


Tim Berne trio, photo Fabrice Bourgoin

En tournée européenne avec le guitariste Greg Belisle-Chi , Tim Berne fait une étape au Petit Faucheux à Tours et déploie son esthétique avec l’engagement qui est le sien. Avec un trio, complété par le violoncelliste Hank Roberts, il donne une grande leçon et et délivre une musique puissante.

A l’origine, le batteur Nasheet Waits devait être de la partie au côté Tim Berne et Greg Belisle-Chi. Vu fin août dans le sextet d’Émile Parisien, il avait comme à son habitude laissé une forte impression. Un swing issu de l’histoire du jazz et une projection permanente de la batterie laissaient espérer une confrontation fructueuse avec le son prégnant du saxophoniste. Puis, non : le batteur n’est plus disponible. Il ne sera pas du voyage. Déception. Jim Black le remplace sur quelques dates dans le nord de l’Europe et Hank Roberts sera présent en France. C’est à dire à Tours.

Contre mauvaise fortune bon cœur et avec le plaisir de voir Berne en formation réduite et sans batterie, c’est bien évidemment avec enthousiasme que nous sommes dans la salle, le jour J à l’heure dite. Lui et Belisle-Chi, musicien de la nouvelle génération, ne se quittent plus. Auteur d’un disque dans lequel il interprète à la guitare seule les compositions du saxophoniste (sur Relative Pitch Records), le guitariste a participé dans la foulée à un duo à ses côtés paru chez Intakt (Mars). Son jeu s’enrichit au contact de ce maître ès-musique qui construit une oeuvre unique depuis au moins trois décennies. Avec ses partenaires, Tim Berne déroule un set de plus d’une heure et quart durant lequel il donne à entendre ce qui fait sa touche personnelle. Un son plein, ininterrompu, des phrases complexes, lancinantes, envoûtantes par leur complexité même, et joue des grands intervalles avec insistance. L’oreille est tendue. L’attention sollicitée.

Laconique comme à l’accoutumée, il ne fait pas d’efforts pour plaire, ni dans sa musique ni dans sa manière d’être, et cette attitude nonchalante le rend sympathique. Il ne parle qu’en américain et enchaîne, entre les morceaux, les blagues au second degré avec spontanéité et un recul sur soi qui fait mouche. Il n’est pourtant jamais seul et le trio tourne à plein régime. Belisle-Chi, chez qui on apprécierait un peu plus de percussivité dans la linéarité de son phrasé, est de toutes les propositions. Fouillant les harmonies avec obstination, il colle au saxophone avec force et rehausse son jeu. Il est à parier d’ailleurs qu’à la suite de cette tournée, leur interaction sera d’autant plus aboutie. Comme un tour de chauffe avant une collaboration au long cours.

Hank Roberts et Tim Berne, photo Fabrice Bourgoin

C’est pourtant Hank Roberts qui captive ce soir-là, faisant magnifiquement oublier l’absence de Nasheet Waits. Tout du long quasiment à l’archet, il propose une sonorité pleine et chaleureuse. Assis sur le bord de sa chaise, l’instrument lové dans ses bras comme un enfant, il est le contrepoint de son vieux partenaire (lui et Berne jouent ensemble depuis les années 80). Des phrases inventives coulent de ses doigts et portent la douceur là où Berne porte le feu. Il y a dans sa manière de proposer la musique un accomplissement longuement mûri. Surtout, il est capable de produire des contrepoints aux propositions de Tim Berne qui n’ont rien de convenu. Plutôt que de faire tourner une basse cyclique, il en conserve le profil mais en fait une partie en soi, qui se mêle au mieux avec la partie soliste du saxophone.

Le trio joue la narration autant que la matière physique, capable de s’installer soudainement sur la partie haute du son après en avoir posé les fondations dans les graves, comme un zoom ou un gros plan sur une partie de l’édifice orchestral. À partir de compositions de Berne et d’une superbe pièce de Julius Hemphill impeccablement exécutée, le saxophoniste nous propose un concert sans relâchement dont le souvenir reste fort en mémoire.