Tribune

Stephen Byram, profession : jazz-designer

Portrait du graphiste Stephen Byram, auteur de nombreuses pochettes de disques


Après quatre albums édités chez ECM, le nouveau disque de la formation Snakeoil du saxophoniste américain Tim Berne poursuit sa quête d’une musique brûlante et exigeante et signe sur le label suisse Intakt. C’est aussi l’occasion de retrouvailles toujours enthousiasmantes avec un des graphistes les plus pertinents de l’histoire du jazz : Stephen Byram.

Né en 1952, Steve Byram est, à la fois, illustrateur, peintre et également, selon la terminologie anglaise, designer. C’est-à-dire qu’il a à charge de définir l’organisation des illustrations et des informations qui constituent la pochette et le livret du disque. Durant trente ans, il aura travaillé pour Sony, Columbia, Epic, Elektra, Sony Classical et aura participé à la réalisation graphique des disques de Joey Baron, David Sanborn, Marc Johnson, Gary Thomas, Cassandra Wilson et même Vladimir Horowitz (pour un live in Moscow). S’il a collaboré avec de nombreuses personnalités et des structures à forte notoriété, son imagination débordante ne se prive pourtant pas de toutes les audaces.

L’éclectisme et la diversité sont sa marque de fabrique. Pour preuve, en début de carrière, deux faits d’armes inaugurent son parcours hors monde du jazz. La même année 1986, il participe à la réalisation de la pochette d’un des plus célèbres disques de l’histoire du metal : Reign In Blood du groupe Slayer (l’illustration revient à Larry W.Carroll, Byram conçoit l’agencement du livret) puis, toujours chez DefJam Recordings, il conçoit au côté de l’illustrateur David Gambale (alias World B. Omés) le packaging de Licensed to Ill des Beastie Boys, là encore un des grands disques de l’histoire du hip-hop.

Parallèlement à ces incursions dans des univers rock et rap, et son travail pour les labels précédemment cités, sa collaboration au long cours avec le label allemand JMT [1] sous la direction de Stefan Winter reste remarquable. Quelques pochettes sont notables : celles pour Paul Motian en 1988, Monk in Motian ou encore Herb Robertson Brass Ensemble et Shades of Bud Powell pour lesquelles il travaille, cette fois, sur l’illustration de la pochette. Le style hétéroclite et pop sera le sien dans les années à venir.

C’est cependant en 1987 que commence une collaboration qui tient avant tout de l’amitié artistique. Avec Tim Berne, il se lance dans des créations graphiques de plus en plus pertinentes au fil du temps. L’identité visuelle colle au plus près de la créativité musicale du saxophoniste new-yorkais. Se succèdent Fulton Street Maul pour Columbia, puis Tim Berne’s Fractured Fairy Tales pour JMT en 1989. En 1991 et 1994 viennent ensuite, les disques du Tim Berne’s Caos Totale avec Pace Yourself et Nice View.

Les années 90 sont également celles de collaborations avec les francs-tireurs d’un jazz renouvelé. Plus en phase avec l’époque, les musiciens ne renient en rien les apports afro-américains mais intègrent tout autant des styles autres qui collent à l’air du temps (hip-hop, rock, musique contemporaine, etc. dans un joyeux mélange). Steve Byram leur apporte une dimension picturale qui participe pleinement de la réception de cette musique. Le pianiste anglais Django Bates travaille avec lui pour son Summer Fruits (and Unrest) en 1993 puis, pour Quiet Nights en 1998 chez Screwgun, le label fondé par Berne.

Passé chez Winter & Winter (Stefan Winter a laissé JMT pour monter sa propre structure), Steve Byram travaille également pour Dave Douglas (Charms of The Night Sky en 1998 puis Songs For Wandering Souls en 1998). Il participe à la conception graphique de Détail de Marc Ducret en 1997 chez Winter & Winter et de Un certain malaise chez Screwgun en 1997. Il marque définitivement de sa patte la décennie.

Que peut-on dire du dire de lui ? C’est quoi le style de Byram [2] ? C’est certainement cette capacité à tout prendre et tout mettre ensemble pour en faire un objet cohérent. Dans la lignée d’un Basquiat, par exemple, il emprunte aux arts de la rue les agencements les plus hétéroclites. Il joue avec les collages et les superpositions et crée, par ces contrastes, des chocs visuels efficaces.

Grand amateur de typographie, par ailleurs il utilise de nombreux lettrages, y compris écrits à la main, qu’il organise dans n’importe quel sens (condamnant celui qui découvre le disque pour la première fois à se tordre la tête pour lire) avec une volonté graphique évidente. Le disque Uri Caine Ensemble, The Goldberg Variations en 2000 est en cela emblématique, de même que dans le Live in Cognito de Big Satan.

L’art-work est pour Byram une création à part entière où les différents éléments d’une pochette tiennent ensemble. Une pochette accrocheuse ou intrigante, des indications sur les interprètes et les titres des morceaux, des informations sur les conditions d’enregistrement ne sont pas considérés séparément mais fondus dans une même continuité artistique. Le livret s’insère dans la réalisation d’un objet total où le visuel est le prolongement du musical. Durant ces années 1980 et 1990, le jazz est devenu post-moderne et synthétise autant qu’il bouscule. A sa manière, Steve Byram aura participé à une forme de renouveau et marqué, à son tour, le visuel d’une époque.

par Nicolas Dourlhès // Publié le 31 mai 2020

[1de 1985 à 1995, JMT est un label indépendant qui accueille la nouvelle scène du jazz contemporain, de Steve Coleman à Greg Osby. Le label sera absorbé par Polygram en 1995.

[2(ou Byramn, S.Byram S., Byramm, SbyraM, Stephenbyramallsmokelessholyshit. Non sans humour, il signe d’une grande diversité de signatures autour de son nom)