Chronique

Tomasz Chyła quintet

Da Vinci

Tomasz Chyła (vln), Emil Misk (tp), Krzysztof Hadrych (g), Konrad Żołnierek (b), Sławek Koryzno (dms) + Art’n’Voice choir

Label / Distribution : Alpaka Records

Lorsqu’on commence à se tourner vers les productions d’Europe Centrale et de l’Est dans le champ de nos musiques, il y a de fortes chances que l’on fasse des découvertes ; et quand on creuse, on trouve, parfois même la source vient directement à nous. C’est le cas pour Da Vinci, le nouveau disque du quintet du violoniste polonais Tomasz Chyła, considéré comme un grand espoir du jazz dans la patrie de Krzysztof Komeda. À juste titre, manifestement, puisque le dernier album, Eternal Entropy, sorti en 2017, montrait déjà de belles dispositions, notamment des orchestrations luxueuses et une vraie énergie, quoique très marquée par un jazz contemporain dans l’air du temps avec ses cascades harmoniques qui font joli, plaisent aux festivals, mais s’oublient assez vite. Avec Da Vinci, nouvel album et nouveau line-up, sans piano mais avec la trompette d’Emil Misk, le quintet change de biotope. Certes, « A Conscient Stream of Consciousness » débute dans un tutti de violon et de trompette, marqué par la contrebasse de Konrad Żołnierek qui a des airs de pop luxueuse aux aspérités polies. Mais c’est pour mieux se libérer ensuite.

« Macchina Volante » donne le ton d’une œuvre qui prend son indépendance tout en restant fortement marquée par la musique écrite occidentale. De toute façon, on ne peut pas comparer ce quintet avec les précédents disques de Chyła, les membres ont tous été changés et le violoniste, remarquable dans la lente montée abstraite de « Strong Algorithms », semble pouvoir désormais exprimer sa propre voix, plus sombre tout en restant particulièrement raffinée. La guitare électrique de Krzysztof Hadrych, est un sacré détonateur. Il s’appuie sur la mécanique très huilée et puissante de la relation entre Żołnierek et le batteur Sławek Koryzno, qui émarge par ailleurs dans le beau quintet de Szymon Łukowski [1]. Tout ceci est affaire de famille, puisque le bassiste anime avec le frère de Koryzno, lui aussi batteur, le Sonic Syndicate d’Emil Miszk, qui montre la vivacité de la scène de Varsovie. Ici, Misk et Żołnierek s’offre un bel échange dans le roboratif « The Ritual », mais c’est bien Chyła qui mène le bal, bien décidé à faire sien un matériel particulièrement virtuose.

La figure de Da Vinci n’est sans doute pas choisie au hasard. Tomasz Chyła ne se réclame pas du génie, mais plus sûrement de la pluridisciplinarité. Lorsque le chœur Art’n’Voice vient rejoindre l’orchestre sur plusieurs morceaux, notamment « Frantic » entamé par un corps-à-corps de cordes avec Krzysztof Hadrych, Da Vinci prend une dimension tout autre, franchement hors du temps, avec une poésie de l’entre-deux dans cette musique pourtant très écrite. On perçoit, de loin en loin, une influence certaine des expériences progressives des années 70, sans pour autant tomber dans le clin d’œil ou la nostalgie mal placée. Un disque surprenant et vraiment rafraîchissant qui lève le voile sur toute la jeune génération polonaise. On aurait tort de passer outre.

par Franpi Barriaux // Publié le 7 novembre 2021
P.-S. :

[1À écouter notamment Hourglass, paru en 2017.